Mounir Tadlaoui, secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats de pharmaciens du Maroc (FNSPM), revient sur les difficultés qui menacent la profession.
Finances News Hebdo : Contrairement à ce qui était prévu, la baisse des prix des médicaments n’a pas boosté la consommation. Comment expliquezvous ce constat ? Quel est l'impact sur votre activité ?
Mounir Tadlaoui : Tout d’abord, le décret relatif à la baisse des prix a concerné en réalité une révision des prix des médicaments importés (princeps) qui ne s’appliquait pas auparavant au Maroc. Après un benchmark avec 8 pays, les prix ont été fixés selon la moyenne des prix appliqués dans ces pays. En rendant le médicament plus accessible, le ministère de la Santé espérait une augmentation de la consommation. Ce qui n’a pas été le cas, puisque nous continuons de vendre le même nombre de boîtes mais à des prix réduits. Ce qui veut dire que le problème au Maroc n’est pas le prix du médicament, mais l’absence de la couverture sociale.
F.N.H. : Les pharmaciens ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur les difficultés qui menacent la profession, causant ainsi la faillite d’environ 3.500 officines.
M. T. : En effet, cette révision n’a pas été sans conséquence sur les pharmaciens. Outre les officines qui ont dû mettre la clé sous le paillasson, une grande majorité de pharmacies est en difficulté, avec des bilans déséquilibrés à cause, entre autres, des grossistes qui ont réduit leurs échéances de paiement. Autre point et pas des moindres, aujourd’hui, les génériques fabriqués au Maroc ne concernent que 5 molécules. Du coup, les pharmaciens se retrouvent avec 20 marques de produits de la même molécule, engendrant un problème au niveau du stockage. Ce qui complique davantage la situation, c’est l’absence totale du droit de substitution que nous cessons de réclamer. Il est impossible de mettre en place une politique du générique sans ce droit qui est légitime. Ce droit de substitution est d’autant plus important, notamment pour les patients, puisque les mutuelles remboursent sur la base du prix du générique. En d’autres termes, lorsque le médecin prescrit un médicament princeps, c’est le patient qui supporte la différence du prix.
Dernier point, la loi marocaine impose aux cliniques de facturer les médicaments au prix hôpital (PH) et non pas au prix public vente (PPV). Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, étant donné que les cliniques empochent la marge sur le médicament.
F.N.H. : Quelles sont vos principales revendications pour stopper l’hémorragie ?
M. T. : Parmi nos revendications, nous demandons le retour de nos droits légitimes, notamment ceux relatifs au retour du monopole des produits stériles. Aujourd’hui, la vente de ces produits (seringues, sondes, compresses, fils de suture, stents, implants…) au niveau des points de vente non contrôlés (magasins, épiceries, kiosques…) constitue un réel danger pour les Marocains particulièrement pour les produits qui sont implantés. Des produits qui échappent à tout contrôle, et donc il y a absence de traçabilité (une grande majorité de médicaments provient de la contrebande), sans parler des prix qui sont aléatoires. Aussi, nous demandons l’arrêt immédiat de la vente des médicaments par les associations. Nous avons également sollicité le ministère de la Santé pour intégrer les pharmaciens dans le régime du Ramed pour une meilleure gestion des médicaments dans le cadre d’un partenariat public/ privé. Le retour du monopole des produits vétérinaires aux officines est également un droit qui nous a été retiré. Nous appelons ainsi les autorités concernées à veiller à l’application de la loi relative à l’exercice de la pharmacie vétérinaire. Une loi qui autorise les vétérinaires à disposer des médicaments uniquement pour leurs actes et non pas pour la vente. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque la grande majorité des médicaments vétérinaires est commercialisée par les vétérinaires. Cet état de fait n’est pas sans conséquences sur les officines, particulièrement celles installées en milieu rural qui, à cause de ces pratiques, ont perdu 70% de leur chiffre d’affaires. De plus, les pharmaciens sont imposés sur chaque boîte vendue, ce qui n’est pas le cas des vétérinaires qui sont exonérés de tous impôts, puisque ces médicaments sont considérés comme étant des outils de travail. D’ailleurs, c’est l’une des raisons qui pousse de plus en plus de pharmaciens à fuir les zones rurales pour s’installer au niveau des villes, causant ainsi l’exode rural des pharmaciens.
F.N.H. : La baisse des prix des médicaments n’a pas été accompagnée par une réforme fiscale. Existe-t-il aujourd’hui une incohérence entre cette politique et la fiscalité de la profession ?
M. T. : En s’inscrivant dans cette démarche de révision des prix des médicaments, les pharmaciens ont fait un acte citoyen. Rappelons que pour les produits pharmaceutiques dont le prix est supérieur à 2.000 DH, la marge est plafonnée à 400DH. Le problème qui se pose aujourd’hui, c’est que nous sommes imposés à hauteur de 0,5% de notre chiffre d’affaires. Du coup, nous sommes doublement imposés et, par conséquent, nous vendons des médicaments à perte, ce qui est interdit par la loi. Raison pour laquelle nous demandons l’instauration d’une fiscalité spéciale, notamment pour les médicaments dont le prix dépasse les 2.000DH.
F.N.H. : Les pharmaciens sont montés au créneau pour dénoncer le projet de loi 109-12 portant code de la mutuelle. Dans quelle mesure cette loi impactera-t-elle votre profession ?
M. T. : Il faut savoir que partout dans le monde, les prestataires de services ne peuvent pas être prestataires de soins. Ce qui va à l’encontre de la logique, puisqu’on ne peut être à la fois juge et partie. D’autre part, le jour où la couverture médicale sera généralisée et que toutes les mutuelles disposeront de leur propre pharmacie, que deviendront les 12.000 officines ? A qui allons-nous vendre les médicaments ? Personnellement, j’estime qu’avec cette loi, le Maroc, qui aspire intégrer le cercle des pays émergents, est en phase de régression en revenant vers l'économie planifiée. Ce que nous revendiquons aujourd’hui, c’est que chacun se concentre sur son métier.
Propos recueillis par L. Boumahrou