La pensée managériale vue par Rachid M’rabet

La pensée managériale vue par Rachid M’rabet

Ancien professeur de management à l’ISCAE dont il a été, pendant presque vingt ans, le Directeur général et l’initiateur ainsi que le dirigeant (jusqu’en décembre 2020) du Centre des études doctorales en gestion, Rachid M’rabet publie un livre indubitablement «engagé», un travail fondamental forcément : «Histoire de la pensée managériale».

 

Propos recueillis par R. K. Houdaïfa

 

Finances News Hebdo : Quelques réflexions sur l’histoire de la pensée managériale ?

Rachid M’rabet : La connaissance de l’histoire est nécessaire pour comprendre d’où viennent les choses, où elles sont maintenant et où elles vont. Car, de nos jours, beaucoup de problèmes de gestion que rencontrent les décideurs ont souvent été identifiés depuis longtemps. Comprendre l’évolution historique des problèmes de management est de nature à aider les gestionnaires modernes à mieux les confronter. Pourtant, la dimension historique du management n’est pas au centre des préoccupations des gestionnaires englués, qu’ils sont, dans le quotidien et ses problèmes, donnant au court terme une grande importance et évacuant la mémoire et la durée au profit de l’immédiat.

 

F.N.H. : Qui sont les premiers à percer le secret de cette grande pyramide, celle du managérial, et à décrypter ses hiéroglyphes ?

R. M. : Le management est une fonction vieille comme le monde. Certains auteurs estiment que c’est en l’an 5000 avant JésusChrist qu’aurait débutée l’histoire de la gestion, à l’époque des Sumériens qui faisaient appel à des relevés écrits pour faciliter les activités gouvernementales et commerciales. Quand on regarde les grands projets d’envergure, tels que les pyramides égyptiennes ou encore la grande muraille de Chine, qui impliquaient des dizaines de milliers de personnes, on se rend compte qu’ils ne pouvaient s’imaginer sans que quelqu’un planifie le travail, organise la main-d’œuvre, gère l’approvisionnement en matériaux et dirige l’ensemble du projet. Le management s’est manifesté au cours des siècles chaque fois qu’on s’interrogeait sur la meilleure façon d’organiser et de conduire une action collective efficace : produire, construire, conquérir, gouverner, administrer. Ces préoccupations millénaires ont donné naissance depuis longtemps à un savoir, d’abord, empirique, devenu, après, la pensée et la pratique managériales.

 

F.N.H. : Vous venez de publier «Histoire de la pensée managériale : le management au fil du temps». Quels sont les thèmes et problématiques présents dans ledit ouvrage ?

R. M. : Dans cet ouvrage sont appréhendées la pensée et la pratique managériales, en remontant assez loin pour traiter leurs origines dans la préhistoire, l’Antiquité, le Moyen-âge et la Renaissance. La véritable naissance du management étant liée à la révolution industrielle, nous faisons une analyse détaillée du management au 18ème & 19ème siècle, avant de traiter de son essor au 20ème siècle. Nous exposons également les grandes écoles de pensée managériale et présentons les grands auteurs qui ont contribué au développement de cette discipline.

 

F.N.H. : Vous faites remonter ce concept à la préhistoire. Quels sont les changements qu’il a subis au fil du temps ?

R. M. : Le constat le plus évident sur l’histoire du management est que, hormis le fait que l’origine du management remonte à la préhistoire, ce sont tout de même les Américains, notamment au 20ème siècle, qui sont à la base du développement des concepts modernes du management. Partant, dès la fin du 19ème siècle, de très grandes entreprises vont voir le jour avec à leur tête des dirigeants qui vont chercher à développer des concepts de management de plus en plus sophistiqués. Ce sont ces concepts qui ont pris leur source aux USA, qui constituent actuellement la grande majorité, sinon la totalité du corpus des sciences de gestion. Ils ont été diffusés à travers le monde par un arsenal académique performant, (Wharton, Standford, Harvard, etc.), mais aussi par des cabinets de consulting prestigieux, (Mc Kinsey, BCG, Baine, Arthur D. Little...). De nos jours, dans tous les pays du monde, le management est devenu, sous l’influence, notamment des Business School et des multinationales, une pratique universelle. Les managers, quelle que soit leur nationalité ou leur culture, sont formés aux fondamentaux du management et au comment les mettre en œuvre.

 

F.N.H. : Parlez-nous un peu des différentes écoles de la pensée managériale ?

R. M. : Dans la littérature managériale, il n’y a pas d’accord sur le nombre d’écoles de gestion, ni d’ailleurs sur les auteurs qui les composent. Par conséquent, comme il n’y a pas de consensus sur les différentes écoles, nous avons exposé les écoles de la pensée managériale telles qu’on les retrouve chez la plupart des experts et qui constituent ce qu’on pourrait appeler une tendance lourde. Nous présentons dans notre ouvrage ces écoles selon un classement chronologique et non exhaustif : l’école classique, l’école des relations humaines, l’école mathématique, l’école systémique, l’école sociotechnique, l’école Behavioriste (ou comportementale), l’école de la contingence, l’école stratégique, le courant culturaliste, l’école institutionnelle, l’école de management des compétences, l’école évolutionniste, théorie des ressources, théorie des compétences clefs, théorie postmoderne, le courant critique.

 

F.N.H. : De nouvelles idées en management ont vu le jour. Dites-nous en un peu plus sur ces idées ?

R. M. : De nos jours, la société connaît de profondes mutations qui appellent des changements fondamentaux dans les méthodes de gestion des entreprises. Ces mutations ont donné lieu à plusieurs tendances socioéconomiques et technologiques et ont été derrière l’émergence de nouvelles méthodes de management. Ainsi, les entreprises vont chercher à utiliser de nouvelles méthodes (comme le Lean management, le management bienveillant, le «Design thinking», le management agile, ou encore le management digital), recentrer davantage leur stratégie (les entreprises se concentrent sur leur cœur de métier) et aussi, dans certains cas, stimuler une nouvelle forme de compétition basée sur l’innovation (qui devient un facteur clé de succès).

Le management doit prendre en compte les nouvelles dimensions de notre monde en mutation où la société est fondée plus encore que par le passé sur l’information, dans laquelle des centaines de millions d’individus sont reliés à l’échelle planétaire par des réseaux de télécommunications, ce qui modifie la conception du management. L’entreprise est de plus en plus impactée par cette nouvelle réalité au point que l’on parle de l’entreprise 2.0 où l’organisation du travail est différente (travail à distance, travail décalé, travail mobile, travail en réseaux, etc.) et qui demande plus de confiance, plus d’autonomie et moins de contrôle, ce qui constitue un changement radical en perspective dans l’organisation du travail et le management des équipes. On a affaire au management 2.0, qui est amené à évoluer très rapidement, et que beaucoup de managers vont avoir du mal à mettre en place.

 

 

 

 

 

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