La Chine en Afrique : sauveur ou prédateur ?

La Chine en Afrique : sauveur ou prédateur ?

La presse financière anglosaxonne accuse de nouveau la Chine de pratiquer en Afrique un financement prédateur, qui vise à profiter du continent. La presse chinoise réagit, en expliquant que tout cela n’est qu’une simple propagande américaine, car la Chine rivalise désormais sur le continent avec les anciennes puissances coloniales. Comme toujours, cette discussion qui pourrait être purement technique, est noyée par le politique, rendant impossible le débat entre les deux superpuissances mondiales. Attelons-nous ici au difficile exercice du funambule  : celui de marcher sur une ligne sans pencher, ni d’un côté ni de l’autre. Commençons par la fin ! Que reprochet-on au juste à la Chine ?

D’abord, d’avoir largement étendu son influence économique sur le continent. Les banques chinoises représentent désormais 20% du financement extérieur que reçoit l’Afrique. En réalité, la Chine, en tant que nouvelle puissance, a augmenté son aide au développement non seulement en Afrique, mais partout dans le monde. Sur les deux dernières décennies, la Chine est devenue le premier fournisseur mondial d’aide au développement avec plus de 800 milliards de dollars. Les Etats-Unis sont relégués à la seconde place avec près de 600 milliards, puis viennent le Japon (~400 milliards), l’Allemagne (~300 milliards), la France et le Royaume-Uni (avec près de 180 milliards chacun), le Canada (~100 milliards), et l’Italie (~90 milliards). Par ailleurs, quel mal y aurait-il si la hausse du financement avait été uniquement concentrée sur l’Afrique – là où un besoin pressant se fait sentir  ? La Chine a mis en place un forum triennal au plus haut niveau de coopération sino-africaine, pour marquer son engagement envers le continent.

Ce premier reproche ne tient donc pas. Deuxièmement, on reproche à la Chine d’être trop secrète sur les modalités de ses financements. Une étude publiée par AIData explique qu’avant 2015, le tiers des prêts chinois comportait des clauses de confidentialité. Depuis, tous les prêts chinois comportent ces clauses. L’étude compare ce chiffre avec 20% pour les contrats de l’Agence française de développement (AFD), 100% des contrats de la Banque Islamique de développement, et 33% des contrats de banques londoniennes. En toute objectivité, cette analyse ne tient pas la route, car l’échantillon considéré n’est pas représentatif. L’étude a recensé 100 contrats de prêts chinois (ce qui est une performance en soit), mais ce qui peut encore rester non représentatif. Puis, surtout, l’étude a considéré seulement 20 contrats dans son échantillon sur la Banque islamique de développement, et 10 contrats pour l’Agence française de développement, ce qui est insignifiant. Difficile d’en conclure avec certitude, que les banques chinoises sont plus secrètes que les autres… Ensuite, on reproche au financement chinois de mettre en caution les revenus pour assurer le remboursement. Et là, les critiques ont partiellement raison. Pour assurer le service de la dette, on a souvent recours à des comptes de provisionnement (Debt Service Reserve Account ou DSRA). Quel est le principe ?

L’emprunteur doit alimenter ce compte jusqu’à ce qu’il contienne 6 à 12 mois de traites du crédit. Ainsi, si le client éprouve des difficultés à rembourser, ce compte servira à assurer le remboursement et éviter le défaut, le temps que sa situation s’améliore. Si le niveau de fonds contenu dans le compte baisse en dessous de 6 mois par exemple, il faudra l’alimenter de nouveau jusqu’à ce qu’il contienne le minimum requis. La Chine a commencé par financer des pays qui ont beaucoup de ressources naturelles - Angola, Congo - et a cautionné ces prêts par du pétrole ou des ressources minières. Lorsque la Chine a commencé à financer des pays qui ne disposaient pas de ces ressources naturelles (Kenya, Ethiopie, Ouganda), elle a opté pour ces DSRA comme cautionnement du prêt. Aujourd’hui, 30% des prêts chinois comportent ces clauses, contre 7% des prêts de l’OCDE. Ces DSRA sont très usités en financement de projets, mais rarement lorsque l’emprunteur est un souverain. Au fond, l’usage de ces DSRA peut être perçu comme une forme d’innovation financière, qui a permis de réaliser des financements autrement impossibles. Il est donc injuste de les critiquer. Ce qu’il faut critiquer par contre, c’est l’obligation faite de placer tous les revenus de l’emprunteur sur ces comptes. En effet, sur les prêts chinois qui comportent ces clauses, il s’avère que dans 70% d’entre eux, l’emprunteur est obligé de déposer la totalité de ses revenus sur ces comptes, ce qui offre un droit de regard du créancier sur tous les budgets et les investissements. Cette clause est trop extrême, et ne devrait pas l’être. Un minimum de 6 à 12 mois est amplement suffisant dans la pratique.

Un exemple nous vient de l’Ouganda, où la Chine a de l’aéroport Entebbe. La clause, qui impose à l’autorité de l’aviation civile de déposer la totalité de ses revenus sur un DSRA, est en cours de renégociation entre les deux parties. Enfin, on reproche au financement chinois d’être conditionné par un règlement des litiges dans les tribunaux chinois. Ces derniers manqueraient de jurisprudence en termes de litiges internationaux. A cela, on peut répondre que la jurisprudence se construit par le temps. La Chine pourrait faire jouer son hub de Hong-Kong, en le proposant comme terrain d’arbitrage. Même si, en réalité, les arrangements à haut niveau permettent de renégocier la dette pour éviter les défauts, sans recourir aux tribunaux. On reproche aussi au financement chinois de comporter des clauses d’exclusion du Club de Paris. Il s’agit là d’un groupe de créanciers publics qui s’occupent de restructurer les dettes des pays en difficulté. Difficile de répondre à ce reproche. D’un côté, les Chinois perçoivent cette organisation comme une énième institution occidentale dans laquelle ils n’ont pas leur place. De l’autre, les occidentaux reprochent - à raison - à la Chine de s’exclure d’une instance multilatérale qui a fait ses preuves pour gérer les restructurations complexes. Au final, les occidentaux sont dérangés par l’influence croissante de la Chine sur le continent. Sur les deux dernières décennies, la Chine a contribué à la construction de 13.000 kilomètres de routes et de voies ferrées, 80 installations électriques à grande échelle, 130 installations médicales, 45 sites sportifs, et plus de 170 écoles.

Chacun des camps, les occidentaux et les Chinois, défend ses intérêts. On ne peut pas reprocher à la Chine l’étendue de son investissement sur le continent, mais on peut pointer du doigt certaines clauses contractuelles qui mériteraient d’être revues. Dans cette discussion, on parle souvent des occidentaux, et des Chinois qui se font concurrence sur le continent, mais quid des Africains  ?! C’est d’abord aux gouvernements du continent de défendre les intérêts de leurs patries lors des négociations. Ils sont le premier rempart, qui se doit de protéger leurs nations. Ils se doivent de faire jouer une concurrence saine, entre les différents organismes de financement, pour obtenir les meilleures conditions. Inutile de trancher pour l’un ou l’autre des camps, car toute aide au développement est la bienvenue, à condition qu’elle soit construite dans un esprit sincère de codéveloppement. 

 

 

(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez

 

 

 

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