Investissement: «Le système juridique marocain est favorable à la prospérité des entreprises»

Investissement: «Le système juridique marocain est favorable à la prospérité des entreprises»

Le Maroc a connu en 2022 le lancement de plusieurs programmes, dont Intelaka, Awrach, Forsa, favorisant l'entrepreneuriat et l'emploi.

Pour accélérer cette dynamique, un écosystème adéquat, favorable à l’investissement, est fortement recommandé.

Entretien avec Smail El Boukfaoui, expert en développement de produits innovants et fondateur de TechBay.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Tout d’abord, comment évaluez-vous l’investissement au Maroc et en Afrique de manière générale ?

Smail El Boukfaoui : Je pense qu'il est important de prendre en compte plusieurs facteurs clés pour évaluer un investissement au Maroc et en Afrique. Tout d'abord, il est primordial de regarder les tendances économiques générales de la région, ainsi que les opportunités d'investissement existantes. Il est judicieux de considérer la situation politique et juridique, car cela peut avoir un impact significatif sur les opportunités d'investissement. Enfin, il faut tenir compte de la culture d'entreprise et de l'écosystème entrepreneurial de la région, car cela peut influencer les perspectives de croissance et de succès des entreprises. En général, je pense que le Maroc et l'Afrique offrent des opportunités incroyables pour les investisseurs et les entrepreneurs visionnaires, mais il est important de faire une analyse rigoureuse avant de prendre une décision d'investissement.

En ce qui concerne le Maroc, de nombreux atouts me donnent confiance quant aux critères évoqués précédemment. En 2022, le Maroc a connu une année exceptionnelle en termes de développement économique. Le pays a fortement investi dans l'industrie ces 20 dernières années et cela se reflète dans les chiffres record d'exportation pour plusieurs secteurs. Le secteur automobile a battu un record en exportant plus de 10 milliards de dollars de voitures, celui de l'aérospatiale a expédié plus de 2 milliards de dollars, l'industrie textile a exporté plus de 4 milliards de dollars, l'industrie agroalimentaire a également exporté plus de 4 milliards de dollars, et l'industrie des phosphates, engrais et chimie a dépassé les 10 milliards de dollars d’exportations. De plus, la valeur des phosphates est passée de 300 dollars par tonne à 650 dollars par tonne, et même à 1.000 dollars par tonne en avril 2022. D'un point de vue politique, la monarchie constitutionnelle est un système résilient, qui permet une certaine stabilité ainsi qu'une continuité. Sa Majesté, que Dieu l'assiste, est un symbole national unificateur, un gardien de la tradition marocaine et le garant de la prospérité du Royaume. En outre, le système permet aussi une certaine flexibilité dans la prise de décisions, car le Roi peut agir rapidement et efficacement en cas de besoin.

Quant à la situation juridique, il suffit de considérer la croissance des investissements étrangers au cours des dix dernières années, ainsi que la satisfaction de ces opérateurs économiques pour déduire que le système juridique marocain est favorable à la prospérité des entreprises. Cependant, il serait important de mettre en place des réglementations souples et adaptées aux nouvelles technologies. Et ce, afin de permettre aux entrepreneurs et aux investisseurs de tirer pleinement parti des technologies de rupture telles que la blockchain, qui, selon moi, pourraient représenter un vivier de deep tech ou de solutions de rupture qui feraient basculer la donne significativement pour le Royaume et le continent. Je crois que le continent africain regorge d'opportunités incroyables pour les investisseurs et les entrepreneurs visionnaires. Les secteurs de l'agriculture, de l'énergie renouvelable, de la technologie et des services financiers sont particulièrement prometteurs. Toutefois, il faut noter qu’il existe des risques liés à la situation politique et juridique instable dans certaines régions. Malgré cela, j’estime que le Maroc et l'Afrique sont des destinations d'investissement très prometteuses, mais il est important de faire une analyse rigoureuse avant de prendre une décision d'investissement.

 

F.N.H. : Globalement, que fautil revoir dans l’écosystème des investissements au Maroc ? 

S. E. B. : Je dois tout d'abord souligner que nous vivons une transition systémique. La finance, la formation et la réglementation, telles que nous les avons connues, sont en fin de cycle. En plus de cela, le monde a atteint une vitesse d'évolution technologique que nous devons être capables de suivre pour réaliser nos ambitions de prospérité. Il est essentiel que, tant au niveau des individus que des organisations, nous améliorions notre flexibilité et notre réactivité car l'avenir appartient à ceux qui s'adaptent le mieux et le plus rapidement. La seule différence qui caractérise notre époque est que l'avenir c'est demain. En ce qui concerne le financement, il est important de diversifier les sources de financement pour les entreprises innovantes. Il convient d'inclure des options classiques immédiatement disponibles, telles que le crowdfunding, les investissements en capital-risque et les investissements en capital-développement pour les entreprises en démarrage.

Il est également intéressant d'explorer des options nouvelles basées sur des modèles économiques originaux, rendus possibles grâce aux nouvelles technologies, comme les Security Token Offering par exemple. Pour la formation, il est nécessaire de proposer des programmes de formation et de développement de compétences pour les entrepreneurs et les dirigeants d'entreprise innovants, afin de les aider à développer les compétences nécessaires pour réussir dans un environnement en constante évolution. Il est fondamental de fournir un accompagnement continu aux entreprises innovantes, en leur fournissant un accès à des mentors expérimentés, des réseaux professionnels et des ressources pour les aider à affronter les défis et saisir les opportunités de leur secteur. Pour ce qui a trait aux questions financières, il faut mettre tous les acteurs de l'écosystème sur la même longueur d'onde. Cela inclut la compréhension de comment fonctionne l'argent, l'aversion au risque, mais aussi l'abandon de certaines croyances traditionnelles telles que l'importance des diplômes pour le succès. Enfin, il est indispensable de construire un système flexible et réactif qui peut s'adapter rapidement aux changements dans les technologies et les modèles d'affaires. Cela peut inclure la mise en place de processus de réglementation et d'incitation rapides et efficaces, ainsi que la création d'un environnement favorable pour la collaboration et l'échange d'idées.

 

F.N.H. : Quelles sont les pistes à entreprendre pour améliorer l’investissement et l’entrepreneuriat au Maroc, et en Afrique ? 

S. E. B. : Le Maroc se doit d’être à la tête de cette industrie en Afrique pour donner l'exemple au continent. Les meilleurs pays d'Afrique en termes de valorisation et de nombre de start-up sont les pays d'Afrique anglophone (Kenya, Nigéria, Ghana, Egypte) pour différentes raisons. La taille du marché en termes de population est un facteur, la langue en est un autre, car c’est celle de la science, de l'innovation et des affaires, et les contenus, acteurs et croyances véhiculés en anglais sont plus nombreux et mettent quelques mois pour arriver en français (avec une distorsion culturelle). Néanmoins, c'est également pour des raisons inattendues, comme l'absence ou la faible réglementation et le faible développement d'un marché qui favoriserait la création de nouveaux marchés, tels que celui des services e-wallet, e-payment et d'autres solutions fintech. Ces technologies ont un impact structurel sur d'autres activités et, par effet cumulatif, les délais d'ouverture de compte, les transactions et les frais bancaires réduits, par exemple, peuvent fluidifier la création de valeur et les échanges économiques et auront un impact sur la performance de tout un pays. Or, ces technologies peinent à décoller au Maroc en raison de l'existence d'un marché, d'une réglementation et d'un écosystème établi qui constitue une barrière au développement de ces nouveaux produits et solutions. Attention à ce genre de résistance au changement qui peut nuire considérablement sur le long terme.

 

F.N.H. : Comment les investisseurs locaux appréhendent-ils la notion du risque ? 

S. E. B. : Le ministre marocain de l'Industrie, Riad Mezzour, a récemment parlé du changement de mentalité des investisseurs dans le pays. Il y a une décennie, les investisseurs au Maroc ont investi deux fois plus d'argent dans l'immobilier que dans l'industrie, avec environ 30% du total des investissements dans l'immobilier et seulement 15% vers l'industrie. Cependant, cette tendance s'est maintenant inversée, avec deux fois plus d'argent investi dans l'industrie que dans l'immobilier. Ce changement de mentalité des investisseurs est attribué au fait que l'industrie marocaine est maintenant considérée comme plus performante et rentable. En outre, le ministre a également discuté de la croissance dans d'autres secteurs de l'économie marocaine, notamment le secteur du tourisme qui a atteint un nouveau record avec plus de 7 milliards de dollars de revenus en 10 mois et le secteur agricole qui a augmenté de 16,9% en exportations, malgré une grave sécheresse l'année dernière. En ce qui concerne les start-up, il est important de noter que nous avons déjà des exemples de réussite avec des levées de fonds impressionnantes, tels que Chari, Paytic ou Freterium, financées principalement par des investisseurs étrangers.

Toutefois, il est réjouissant de constater l'émergence de fonds d'investissement de renom, tels que UM6P Ventures et AlMada holding, qui disposent du plus grand fonds pour les start-up en Afrique, ce qui témoigne de la progression positive du Maroc dans ce domaine. Il est essentiel, à mon avis, qu'émergent des licornes marocaines, à l'instar de Facebook, Amazon ou Tesla, pour transformer radicalement la donne et éventuellement même instaurer une souveraineté digitale pour le Royaume et le continent. L'impact de telles réalisations sur le pays et l’Afrique serait considérable. Il est donc crucial que le gouvernement poursuive dans cette voie et alloue des ressources pour identifier et résoudre les obstacles qui entravent l'émergence de ce genre d'entreprises. Je crois que contrairement aux investissements traditionnels, la difficulté réside dans l'évaluation des risques et des opportunités. Investir dans ce domaine revient souvent à investir en une personne, une équipe ou une idée. Un business plan est désuet à ce stade et les risques sont élevés, mais les opportunités sont décuplées.

 

F.N.H. : Au niveau de TechBay, quel programme d’appui offrez-vous aux futures startup ? Et quelle est votre cible en matière d’entreprise ? 

S. E. B. : The TechBay est une startup studio spécialisée dans l'innovation et les nouveaux modèles économiques. Nous avons pour vocation de résoudre les deux principaux problèmes auxquels sont confrontées 99% des seed entrepreneurs (*seed, en phase d’amorçage, entreprises qui se trouvent au début de leur cycle de développement et qui ont besoin de fonds pour se développer). Primo, la maîtrise des compétences en matière de développement de produits. Secundo, le financement/crédibilité. Pour le premier, notre équipe d'experts en stratégie, design de produits, logiciels et blockchain accompagne en utilisant des méthodes centrées sur l'utilisateur (et le marché). En somme, nous concevons des solutions avec l'aide de ceux qui vont les utiliser. Par exemple, l'une des start-up de notre portefeuille, qui vise à éradiquer le problème des chiens errants dans le monde (missiondogo.com), est en phase de développement/test avec la participation de spécialistes du refuge animalier (saramorocco.com) Sunshine Animal Refuge Agadir.

En matière de financement/ crédibilité, nous avons développé une plateforme de financement participatif unique au monde. Celle-ci nous permet de financer le développement des projets d'impact en Afrique que nous soutenons sans céder de capital, mais plutôt en partageant les revenus futurs de l'entreprise sur une durée déterminée, de manière transparente et traçable grâce à la blockchain. La plateforme est prête à l'utilisation, nous travaillons sur la partie réglementaire pour pouvoir la mettre en place (fund.thebay.ma). Nous sommes basés au Technopark d'Agadir, ce qui nous a beaucoup aidés car nous avons rapidement gagné une visibilité sur tout l'écosystème. Nous essayons de développer un réseau local et de l'étendre le plus vite possible. Avec l'appui de certains de nos partenaires, nous prévoyons d'établir des locaux en Guinée Conakry, aux États-Unis et en France au cours de l’année 2023. Nous avons également lancé le programme Intra/Entrepreneurship, qui a pour vocation de former par la pratique un groupe de jeunes intra preneurs et entrepreneurs, et de partager cette expérience sur les réseaux sociaux dans un format interactif.

 

F.N.H. : Que pensez-vous des différents programmes (Forsa, Intelaka, etc.) déployés par le gouvernement pour soutenir les nouveaux entrepreneurs ? Et que faut-il améliorer dans ce genre de programmes pour qu’ils soient plus efficaces ? 

S. E. B. : Après avoir postulé aux deux programmes, je peux partager mon avis personnel sur la question. J'ai trouvé le programme Forsa exceptionnel en termes de modules de formation (nécessaires pour obtenir un financement). Il s'agit d'une formation en ligne complète, moderne et qui sensibilise aux bonnes pratiques entrepreneuriales. Le programme ne présente pas de barrières importantes pour l'obtention du financement et la mise à disposition de cellules d'incubation, d’accompagnement indépendant est d’une efficacité remarquable. Le programme Intelaka est un peu moins flexible pour les entreprises comme la nôtre, dont 90% des ressources nécessaires sont ses talents. Les banques, chargées de la due diligence, ont une approche moins sensible aux modèles économiques innovants et le financement ne prend pas en compte les besoins en fonds de roulement tels que les salaires par exemple. Ce programme convient donc davantage aux entreprises ayant déjà des sources de revenus ou disposant de plans d'affaires éprouvés, comme les boucheries ou les pressings. Il est maintenant très important de travailler sur les délais d'exécution de ce type d’initiatives et de réduire la bureaucratie et l'intermédiation.

Nous devrions également profiter de l'évolution technologique et des opportunités offertes par la crise sanitaire qui a forcé la transition digitale d'une partie de la population, en mettant en place, par exemple, une plateforme qui assurerait la traçabilité, la transparence et la mesure des performances, tout en réduisant l'intermédiation pour un accès encore plus équitable aux financements. Nous pourrions imaginer une plateforme de financement pour les citoyens et entrepreneurs avec accès centralisés aux outils de formation, d'accompagnement et de réseautage offerts par l'État et la région, assurant la confiance grâce à un protocole de gestion de contrats intelligents. Par exemple, la fiche entrepreneur de Smail El Boukfaoui, détenteur de la CIN xxxxx, aurait obtenu X millions de dirhams de financement pour la société The Tech Bay Sarl, aurait recruté Y talents (mesurant l'impact sur la création d'emplois), aurait généré Z millions de dirhams de revenus et payé (Z% d'impôts) à ce jour. Nous serions honorés de contribuer à l'élaboration de projets de cette envergure.

 

F.N.H. : Pour mieux entreprendre, quelles sont les résolutions à prendre ? 

S. E. B. : Pour réussir en tant qu'entrepreneur, il est crucial de mettre toutes les chances de son côté en adoptant un mode de vie qui favorise la réussite. Cela signifie être en constante réflexion, sans jamais perdre confiance en soi. Il est également nécessaire de posséder une volonté de fer, une éthique élevée, de la patience, de la résilience, de la constance et de la foi. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'importance de la chance, qui est obtenue lorsque la préparation rencontre l'opportunité. 

 

 

 

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