Le Maroc engage une nouvelle phase dans sa lutte contre la corruption : mesurer l’impact réel des politiques publiques plutôt que multiplier les rapports.
Lors d’une journée d’étude à Rabat, l’INPPLC et le Conseil de l’Europe ont posé les bases d’un référentiel national d’évaluation visant à rendre l’action publique plus lisible, plus efficace et centrée sur le citoyen.
Le Maroc amorce un tournant majeur dans sa lutte contre la corruption : passer enfin d’une logique de moyens à une logique d’impact. C’est le message central qui s’est imposé lors de la journée d’étude organisée à Rabat par l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC), en partenariat avec le Conseil de l’Europe. Un rendez-vous qui marque l’entrée dans une nouvelle ère, où la question n’est plus « que faisons-nous ? », mais « qu’est-ce qui change réellement pour le citoyen ? »
Pour Mohamed Benalilou, président de l’INPPLC, les mécanismes traditionnels ont atteint leurs limites : rapports, indicateurs d’activité, taux d’avancement… autant d’outils qui donnent une impression de progrès sans garantir une transformation concrète. « La vraie mesure du succès, c’est ce que ressent le citoyen dans son quotidien administratif et économique », affirme-t-il.
Selon lui, la nouvelle approche vise à rompre avec les évaluations “formelles” qui peignent un tableau flatteur sans refléter la réalité vécue. « Le Maroc doit s’interroger moins sur les politiques existantes et davantage sur ce qu’elles produisent réellement », insiste-t-il, rappelant que l’absence d’évaluation rigoureuse entraîne une perte économique invisible et une faible rentabilité des dépenses publiques.
Un partenariat stratégique avec le Conseil de l’Europe
Carmen Morte-Gomez, cheffe du Bureau du Conseil de l’Europe à Rabat, abonde dans le même sens. Elle souligne que l’évaluation de l’impact n’est plus une option, mais une nécessité pour restaurer la confiance des citoyens : « Le simple fait de mesurer les résultats constitue déjà une avancée majeure dans la transparence publique. »
Elle rappelle que le Conseil de l’Europe dispose d’un arsenal d’outils et de standards reconnus internationalement, notamment à travers le GRECO (Groupe d’États contre la Corruption), et qu’il accompagne le Maroc dans ce chantier dans le cadre du Partenariat de Voisinage 2022-2025, appelé à être renouvelé pour 2026-2029. Un rapprochement accru entre le Maroc et les mécanismes européens est d’ailleurs envisageable “au moment jugé opportun”, précise-t-elle.
Vers un premier référentiel national commun
Au cœur de ce processus, le travail technique du Centre d’Observation de l’INPPLC, dirigé par Amine El Bassri, occupe une place centrale.
Il dévoile que le dossier-phare de cette rencontre, le dossier pratique d’évaluation de l’impact des politiques anticorruption, représente la première pierre d’un référentiel national intégré. Selon lui, l’expérience de la stratégie nationale 2015-2025 a montré que le suivi technique ne suffit pas : « Sans indicateurs scientifiques dès la conception des politiques, il est impossible de mesurer leurs effets réels. »
Le nouveau guide repose sur : la théorie du changement, les chaînes de résultats, des méthodes de mesure basées sur les preuves, et un cadre d’indicateurs pouvant être déployé dans toutes les institutions. Fruit de travaux comparatifs internationaux, d’analyses nationales et de contributions techniques du Conseil de l’Europe, ce guide vise à ancrer une véritable culture de l’évaluation dans les futures politiques publiques.
Un objectif final : rendre l’action publique lisible et utile
Pour les trois responsables, le constat est clair : une politique anticorruption ne vaut que par son effet mesurable sur la qualité des services publics, la réduction des pratiques illicites et l’amélioration du climat de confiance. Benalilou résume l’esprit de cette nouvelle phase : « Le succès ne se mesure ni au nombre d’institutions ni à la longueur des textes, mais à ce que le citoyen perçoit concrètement. »
Ce chantier, encore en construction, ambitionne de faire du Maroc l’un des premiers pays de la région à adopter une méthodologie nationale complète pour évaluer l’impact de ses politiques anticorruption, un pas stratégique vers une gouvernance plus efficace, plus transparente et plus accountable.