Il existe un climat d’attentisme et les acquéreurs ont besoin de visibilité.
Les initiatives pour soutenir l’immobilier, notamment l’exonération des frais d’enregistrement, doivent être prolongées.
Entretien avec Mohamed Lahlou, président fondateur de l’Association marocaine des agents immobiliers (AMAI) et président du pôle immobilier du Club des dirigeants.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : On note une certaine reprise économique. Cela s’est-il répercuté sur le secteur immobilier ?
Mohamed Lahlou : Je ne peux pas me prononcer sur le sujet d’une manière concrète, précise et détaillée tant qu’il n’y a pas suffisamment de données. Pour avoir un benchmark, nous devons avoir des statistiques de chaque segment. Le nombre de transactions par produit et leur valeur donneront une vue sur l’évolution de l’activité; c’est comme ça que cela se passe en France et dans les pays développés. Ces données permettront d’orienter les professionnels du secteur pour mieux optimiser leur choix. Il est souhaitable de lancer un observatoire de l’immobilier indépendant, qui peut être adossé à des organismes spécialisés dans le recueil des statistiques et leurs analyses.
La direction de l’enregistrement est la mieux placée pour donner ces chiffres et, dans une moindre mesure, la Conservation foncière. Mais il faut dire que d’après les informations recueillies aussi bien auprès des promoteurs que dans notre activité, nous n’avons pas ressenti une reprise significative. Outre les réalisations, nous cherchons des données sur les besoins en logement, qui peuvent être livrées par le département de l’Habitat ou le haut-commissariat au Plan (HCP).
F.N.H. : Qu’en-est-il de la situation du secteur dans les régions ?
M. L. : Excepté Casablanca, Rabat et plus ou moins Tanger, la situation n’est pas reluisante dans les autres régions. Des villes sont sinistrées, comme Fès, Meknès, Marrakech ou Agadir. Paradoxalement, on enregistre des mises en chantier et le lancement de nouveaux projets. Les professionnels du secteur anticipent une reprise pour les mois à venir. Le plus souvent, ce sont des opérateurs qui financent par fonds propres en vue de constituer un stock de biens immobiliers dans la perspective de les vendre au moment opportun. La véritable reprise sera probablement impulsée avec la fin de l’état d’urgence sanitaire. Les acquéreurs ont besoin de visibilité. Un climat d’attentisme est observé et j’espère qu’il ne va pas durer.
F.N.H. : Y a-t-il des enseignements à tirer de cette crise sur lesquels il faut capitaliser pour lancer des réformes ?
M. L. : La fiscalité figure parmi les réformes les plus importantes à lancer. Les tarifs des droits d’enregistrement ou de conservation foncière doivent être revus à la baisse. L’éclatement des titres nécessite des sommes conséquentes. Il ne faut pas oublier que le promoteur, lui aussi, subit les contraintes de ces hausses. Il achète le foncier cher sur lequel il paie différents impôts et taxes. Alors que pour les autres charges, le renchérissement est relatif. Le coût de la construction n’a pas beaucoup évolué comparativement aux années 90. Pour les gros œuvres, le prix n’a pas changé. Il est toujours facturé à 800 ou 900 DH le m2. Et pour les produits de sanitaire et de carrelage, ils ont baissé. Par ailleurs, je tiens à souligner qu’il est essentiel de revoir le crédit bancaire afin de trouver des solutions plus adaptées pour les acquéreurs. Actuellement, la banque ne finance plus la totalité de la valeur d’un bien immobilier : elle demande une avance d’au moins 25 à 30%.
Ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, surtout pour les primo-acquéreurs. La Loi des Finances 2021 prolonge jusqu’30 juin 2021 l’exonération des droits d’enregistrement pour les actes portant première vente de logements sociaux et de logements à faible valeur immobilière. Il est souhaitable que cette initiative soit prolongée jusqu’au 31 décembre de l’année en cours. Je reste optimiste pour le référentiel de l’immobilier. La DGI devrait être un peu souple en tenant compte que les gens sont de plus en plus conscients et évitent la pratique du noir. Il faut laisser les gens travailler le temps que le secteur de l’immobilier se redresse et encourager aussi les villes périphériques. Pour Casablanca, c’est le cas de Bouskoura, Nouasser, Dar Bouazza, Tit Mellil, Zenata ou Had Soualem. Ces cités permettent d’atténuer la pression sur le foncier et de lancer des produits de qualité et à des prix concurrentiels, surtout pour la classe moyenne. S’agissant de la disponibilité du foncier spécialement dans les grandes métropoles, il faut revoir à la hausse la fiscalité locale, notamment la taxe sur les terrains non bâtis. La formule actuelle n’est pas dissuasive car elle encourage la spéculation.
F.N.H. : Justement, les offres déclinées pour le moyen standing dédié à la classe moyenne ne sont pas adaptées au marché. Quelles sont vos propositions à ce sujet ?
M. L. : Dans le cadre du club des dirigeants, je suis président du pôle immobilier. Nous travaillons sur les pistes à investir pour développer le moyen standing. Nous envisageons de finaliser une proposition d’ici 2022. Pour baisser le coût du crédit, il est indispensable de supprimer la TVA sur les intérêts. Je propose également de créer un compte d’épargne logement avec de véritables incitations fiscales. Cela permettra de constituer un capital et avoir la fameuse avance pour acquérir son logement dans de bonnes conditions.
F.N.H. : Que suggérez-vous pour lutter contre l’arnaque dans le secteur immobilier ?
M. L. : La VEFA est le seul moyen pour protéger les acquéreurs. Malheureusement, elle n’est pas appliquée. Réformer le système et le rendre plus simple et facile à mettre en œuvre est une priorité. La mouture actuelle est très compliquée, ce qui explique qu’elle soit boudée par les promoteurs. Je propose qu’elle soit remplacée par une caution bancaire. Le promoteur pourra bénéficier d’une ligne de crédit en fonction de l’avancement du projet et, au final, il faut rendre des comptes. Pour lutter contre la spoliation et l’arnaque immobilière, il faut organiser l’activité des agents immobiliers. Ces professionnels peuvent garantir la transaction avant de passer chez le notaire.
C’est comme en France et les autres pays européens. Je tiens à rappeler que le propriétaire d’un bien immobilier dispose d’une période de quatre ans à compter de la date d’enregistrement pour lancer la procédure judiciaire qui lui permettrait de récupérer son bien spolié. Une fois cette période passée, il n’aura aucune possibilité de recouvrer son bien. Cette disposition de la loi est injuste, la réformer au plus vite devient une nécessité. Par ailleurs, force est de noter que parmi les facteurs favorisant l’arnaque immobilière, figure la publicité mensongère, que ce soit à la radio, la télévision, la presse écrite, l’affichage, le digital ou dans les salons et expositions. Il faut mettre de l’ordre à ce niveau. Chaque promoteur qui veut vendre des biens immobiliers sur plan, doit respecter certaines conditions et disposer des documents nécessaires, dont un plan autorisé. Pour leur part, les autorités doivent s’impliquer davantage pour couvrir les acquéreurs.
F.N.H. : Où en est votre projet pour l’organisation de l’activité d’agent immobilier ?
M. L. : L’organisation de notre activité permettra d’assainir la profession et sera d’une grande utilité pour les autres métiers concernés par l’immobilier, à savoir les promoteurs, les notaires, les avocats ou autres. L’exercice de la profession doit obéir à des critères spécifiques, notamment le niveau d’instruction et de compétence. Nous ne sommes pas contre les intermédiaires ou les «samsars», mais ils doivent se regrouper dans une autre entité bien distincte avec un statut particulier et travailler avec une agence immobilière. Une fois le projet de mise à niveau de notre activité bouclé, les notaires seront obligés de n’accepter que les affaires traitées par les agents immobiliers dûment agréés. Cette option permettra de dissuader les arnaqueurs. Malheureusement, le projet de loi sur les agents immobiliers traîne toujours au Parlement. Nous avons approché plusieurs partis politiques, mais n’avons pas eu de réponses ni d’explications concernant ce retard. Je tiens à préciser que tout métier qui n’est pas réglementé entraînera des dérives.
F.N.H. : Comment évolue le segment professionnel ? A-til été touché par la reprise ?
M. L. : Avec la pandémie, plusieurs entreprises ont opté pour le télétravail, principalement les multinationales. Actuellement, on assiste à un phénomène un peu spécial : les entreprises cherchent des bureaux de petite surface et liquident leurs locaux plus grands afin de réduire les frais, notamment de loyer, et autres charges variables. Parallèlement, on assiste à une demande des investisseurs qui sont à la recherche de plateaux ou de locaux commerciaux à louer. Il y a de l’intérêt pour ce genre de segment. Les opérateurs estiment qu’en l’absence de visibilité, ils préfèrent louer au lieu de mobiliser d’importantes sommes d’argent dans l’acquisition.