2025 devrait suivre la même tendance que 2024, avec davantage de villes périphériques qui connaîtront une plus grande activité immobilière. Dans un contexte socioéconomique fragilisé, la capacité d’acquérir est une contrainte majeure pour le secteur. Entretien avec Amine Mernissi, expert en immobilier.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : Comment jugez-vous l’année 2024 pour le secteur immobilier ?
Amine Mernissi : L’année 2024 a été marquée par le lancement du Programme d’aide directe au logement (PADL), appelé également Daam Sakane. Ceci a constitué une rupture salutaire, puisque le secteur était en mal de visibilité depuis 2021. Il s’agit d’un programme qui s’étale entre 2024 et 2028 et qui donne le la en ce qui concerne la politique publique en matière d’incitations et de développement de l’immobilier résidentiel au Maroc. Le secteur dans son ensemble est porté par un vent d’optimisme en raison, entre autres, de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2030. Mais l’immobilier, ce n’est pas que du résidentiel, nous avons tendance à l’oublier. C’est aussi des bureaux, des locaux commerciaux, du touristique, de la logistique… et dans un autre registre, le foncier aussi qui est le nerf de la guerre de tout ceci. Toutes ces classes d’actifs ont connu un regain d’intérêt en 2024, porté, il faut le souligner, par un programme étatique important de mise à niveau des infrastructures publiques (routes, ponts, aéroports, chemins de fer, requalification et modernisation des centres urbains...) qui couvre l’ensemble du territoire national. 2024, c’est le «grand bond en avant» !
F.N.H. : Quelles sont vos prévisions pour 2025 ?
A. M. : 2025 devrait suivre la même tendance que 2024, avec davantage de villes périphériques qui connaîtront une plus grande activité immobilière. Sachant que le développement des grandes agglomérations évolue en cercles concentriques et que leur dynamique profite mécaniquement à leur périphérie. Offre immobilière nouvelle et plus compétitive, et élargissement du marché tout en desserrant la pression de la demande sur les cœurs de ville et les hypercentres.
F.N.H. : Quelles sont les contraintes qui persistent encore pour assurer une véritable relance du secteur ?
A. M. : Au risque de vous surprendre, c’est le… pouvoir d’achat ! Car hormis les traditionnels «3F», à savoir foncier, fiscalité et financement, qui restent toujours perfectibles et qui constituent des variables structurelles avec lesquelles le secteur avance bon an mal an…, ce qui freine davantage aujourd’hui, c’est la «capacité à acquérir» dans un contexte socioéconomique fragilisé. Inutile de vous rappeler, en écrivant ces lignes, que la pluviométrie fait toujours ses caprices et que son impact est immense malgré la diversification à pas forcés de l’économie nationale entamée depuis plus de 10 ans. Si le PADL est venu apporter une réponse concrète en termes d’aide au pouvoir d’achat des ménages, notamment avec l’octroi d’une aide financière substantielle directe (100.000 DH ou 70.000 DH), cela concerne un type d’actifs précis. Tous les autres actifs immobiliers, et ils sont nombreux, doivent se frayer un chemin au milieu du pouvoir d’achat déjà étriqué des ménages marocains.
F.N.H. : Le programme pour le soutien à l’habitat lancé par le gouvernement a-t-il donné les effets escomptés ?
A. M. : Disons que pour une première année, le bilan est honorable. Mais du chemin reste encore à faire. Notamment en termes de disponibilité de l’offre. Près de 130.000 demandes pour quelque 35.000 bénéficiaires, il y a encore de la marge pour accélérer la production qui, il faut le rappeler, est portée principalement par les promoteurs privés. D’ici 2028, la production devrait cibler les localités en demande, et gageons que la demande et la production iront crescendo.
F.N.H. : Quels sont les ajustements à apporter aux villes nouvelles pour assurer leur impulsion ?
A. M. : Il faut les connecter aux bassins d’emploi ! Autrement, ça devient fatalement des villes dortoirs. Les doter d’infrastructures de transports publics aussi, et surtout les rendre attractives. Je veux dire par là, commencer par éviter de répéter les erreurs commises chez leurs «grandes sœurs» ! Les villes nouvelles ne doivent pas être des sous-villes. Elles doivent être accompagnées d’une vraie vision urbaine, d’une identité. Incluant espaces verts abondants et qualité des aménagements publics, voies d’accès et routes dimensionnées pour les cinquante prochaines années, marketing territorial adéquat… En un mot, les doter d’une âme !
F.N.H. : La baisse du taux directeur a-t-elle eu un effet sur le secteur ?
A. M. : La baisse récente du taux directeur d’un demi-point par la Banque centrale constitue une détente favorable. De là à vous dire que ceci a déjà eu un impact sur le secteur serait prématuré. En tout cas, dans la cartographie des crédits immobiliers accordés aux particuliers, plus de 80% sont à taux fixe. Par conséquent, seule une minorité est concernée effectivement par la hausse ou la baisse des taux d’intérêt. Par contre, c’est pour les nouveaux dossiers de crédit que l’offre est susceptible d’être plus compétitive en raison de ce demi-point de baisse.
F.N.H. : L’immobilier peut-il profiter d’une façon directe ou indirecte de la dernière amnistie fiscale ?
A. M. : Tout à fait ! 100 milliards de DH injectés dans le circuit bancaire peuvent à présent trouver le chemin en toute transparence de l’investissement immobilier, entre autres. C’est une excellente nouvelle, sachant que d’ici 2030, le Maroc a besoin de développer plusieurs typologies d’actifs immobiliers à l’échelle nationale. Derrière cette amnistie fiscale, se cache donc peut-être un rendezvous avec la croissance qui, in fine, amènera aussi de l’impôt, de la création d’entreprises, du paiement de taxes … et la boucle est bouclée !