• L’USFP est plus que jamais résolu à raviver le pôle de gauche au Maroc.
• Le Conseil National du Parti se réunit ce week-end pour une prochaine présentation du programme électoral.
• En attendant, Saloua Karkri-Belkziz, députée USFP et membre de la Commission économique et sociale du parti, trace quelques-unes des grandes lignes des mesures en discussion, non sans faire, entre autres, une analyse critique du Parlement et du système fiscal actuel.
✔ Finances News Hebdo : Tout d’abord, comment rétablir la confiance en la chose politique ?
✔ Saloua Karkri-Belkeziz : J’espère qu’avec cette nouvelle Constitution, ces élections et tout le mouvement que vit le Maroc, on aura de grands débats politiques pour briser la méfiance des Marocains justement vis-à-vis de l’action politique…
Il est vrai que le travail politique au Maroc n’a pas été valorisé dans la mesure où il n’y avait pas de parallèle entre la vie politique et la vie quotidienne des citoyens. Il n’existait pas de relations entre l’action publique et les engagements politiques. C’est peut-être ça aussi qui fait que les gens ne voyaient pas l’intérêt de la chose politique. Moi-même, j’ai failli jeter l’éponge à un certain moment de ma carrière politique, mais le discours royal du 9 mars m’a complètement fait changer d’avis.
✔ F. N. H. : Cela revient-il à dire que vous avez été déçue de votre expérience parlementaire ?
✔ S. K. B. : J’ai été déçue par le système politique et par la représentation de ce Parlement. Ce Parlement est le plus absurde et le moins compétent de toute la vie politique parce qu’issu justement d’une abstention record et du rachat de voix dans une large majorité des cas. Et je ne me voyais pas le dedans. Et puis, on se rend compte aussi que les décisions ne se prenaient pas au Parlement qui est devenu une sorte de chambre d’enregistrement des lois et non pas de leur discussion… Et ce, d’autant plus qu’on n’avait pas les moyens de travailler.
✔ F. N. H. : L’absentéisme des députés est devenu un problème structurel qui fait perdre toute sa crédibilité au Parlement. Croyez-vous que la nouvelle Constitution va y remédier ?
✔ S. K. B. : Avec la nouvelle Constitution, il faut faire de la politique, la vraie. Lors de la rentrée parlementaire, le Souverain a insisté sur le fait que le prochain gouvernement sera issu de la majorité et que les parlementaires auront plus de pouvoirs à la lumière de la nouvelle Constitution. Et ce prochain Parlement jouera un rôle déterminant dans l’élaboration et l’adoption des lois organiques prévues dans la Constitution et qui garantiraient une meilleure traduction du nouveau texte sur la vie quotidienne des Marocains. Cette responsabilité qui incombe au Parlement pour les cinq prochaines années doit pousser les partis politiques à faire très attention aux accréditations qu’ils octroient, puisque le pays a besoin de réelles compétences et de personnes disponibles.
✔ F. N. H. : La Constitution a instauré la parité homme/femme. Mais ne pensez-vous pas que les femmes ont crié victoire très tôt, d’autant que leur participation aux élections fait actuellement l’objet d’un débat ?
✔ S. K. B. : C’est vrai que le nouveau texte constitutionnel apporte beaucoup de nouveautés par rapport au texte précédent. Parce que, tout d’abord, la parité y est clairement établie avec, à la clé, la création d’une instance, qui doit être mixte, pour y veiller.
Cela dit, il est question d’instaurer la parité à moyen terme et non pas tout de suite. Sur le plan politique, l’objectif immédiat est d’arriver à un tiers de femmes au niveau régional et national. Au niveau national, arriver à un tiers de femmes ne passera pas, à mon avis, par la liste nationale.
À mon sens, la solution passe par la proposition de 30% de femmes localement. Cela va créer une émulation et une bonne concurrence entre les femmes de tous les partis. Et le plus important c’est que les électeurs vont apprendre à voter pour les femmes parce qu’ils auront le choix.
Cela pour dire que c’est une réelle une frustration que de ne pas savoir à quelle population vous avez servi le plus, puisqu’étant élue indirectement.
✔ F. N. H. : L’USFP n’a pas encore présenté son programme économique et social; mais peut-on dès à présent avoir une idée sur les grandes lignes de ce qui est en préparation ?
✔ S. K. B. : Le parti a mis en place, début août, une commission chargée des programmes. Ladite commission est constituée de trois sous-commissions : celle qui travaille sur l’aspect économique et social, à laquelle je participe le plus, une deuxième consacrée à la politique et aux droits de l’Homme, et une troisième sous-commission qui consacre son travail à la culture et aux médias.
Les travaux de ces sous-commissions seront compilés et présentés au Conseil National qui se tient ce week-end pour validation.
Le parti a évalué deux approches. La première est d’ordre économique et, à cet effet, il faut dire que le parti a été de tous les grands projets et a avancé à pas de géant depuis l’avènement du gouvernement d’alternance et l’intronisation de SM Mohammed VI.
Sur le plan politique, je dirais que le parti avait pris part à la démocratie consensuelle, laquelle devait durer un certain temps pour devenir une démocratie réelle populaire. Malheureusement, en 2002, bien que l’USFP soit arrivée première aux élections grâce à un regain de confiance, cette démocratie consensuelle n’a pas été respectée et l’USFP n’a pas été portée à la tête du gouvernement. D’ailleurs, Abderrahmane Youssoufi a quitté juste après le parti et la vie politique.
Mais j’insiste pour dire que le parti a beaucoup progressé sur le plan économique, bien qu’il y ait eu un arrêt dans le domaine politique. Cela n’empêche que l’USFP est revenue à la charge en 2009. Rappelez-vous, nous avons participé au gouvernement de 2002 à 2009, alors qu’un courant avait appelé à verser dans l’opposition.
Par ailleurs, pour une meilleure visibilité, il était indispensable de réformer la Constitution et la demande a été formulée par l’USFP dès 2009. À l’époque, le parti avait fait le tour de tous les autres partis politiques, y compris ceux de l’opposition et le PAM qui venait de voir le jour. Malheureusement, l’USFP s’est retrouvée seule et, malgré cela, elle a présenté un mémorandum au Souverain.
Et en 2011, avec l’éclosion du printemps arabe, la réforme constitutionnelle s’imposait. D’ailleurs, je vous invite à comparer la nouvelle Constitution avec le mémorandum de 2009 pour vous rendre compte qu’ils ont beaucoup de points en commun.
✔ F. N. H. : Pour revenir aux croquis du programme de l’USFP, quelles sont vos priorités ?
✔ S. K. B. : Nous sommes partis du principe qu’il faut une économie structurée pour une société plus juste. Il ne s’agit pas de travailler sur des «mesurettes», mais de structurer l’économie; et c’est grâce à cela qu’on créera de l’emploi, avec pour priorité la réforme fiscale. C’est suivant cette logique qu’il faut travailler et non pas promettre des créations d’emplois. C’est sur volet «structuration» que nous avons passé le plus de temps, surtout qu’il fallait analyser le système des impôts directs et indirects… Et je peux vous dire que nous avons un système d’impôt injuste. En effet, nous pouvons facilement doubler les recettes fiscales au Maroc.
Et quand ces dernières semaines on évoque la question d’imposer la fortune, je pense personnellement qu’il s’agit d’une importation du débat de l’Europe ou des Etats-Unis chez nous.
✔ F. N. H. : Dans certains pays, il existe des mesures fiscales incitatives en faveur des entreprises, notamment lors du recrutement d’un handicapé … Pourquoi n’y a-t-il pas au Maroc une fiscalité dans ce sens et également en faveur de la famille, par exemple ?
✔ S. K. B. : Pour ce qui est de la fiscalité de la famille et tenant compte de mon expérience à la tête de l’AFEM, je propose que l’IR ne soit pas calculé sur la base du revenu d’une personne, mais du couple. D’autant plus que j’ai fait des simulations avec des cas réels et j’estime que le calcul de l’IR sous sa forme actuelle est injuste.
Pour ce qui est des handicapés, il faut faire de la discrimination positive pour les minorités et je dirais même, qu’à un certain moment, il faut obliger les gens à faire un certain nombre de choses. Parce qu’on n’est pas un pays de droit si on est trop laxiste. Ce n’est pas normal !
✔ F. N. H. : Pour ce qui concerne les réformes, quelles sont les mesures concrètes que vous proposez ?
✔ S. K. B. : Il y a trois axes que je pourrais vous citer. Le premier concerne la réforme fiscale, le deuxième la maîtrise de la dépense publique, et le troisième a trait à la politique financière et monétaire.
En ce qui concerne le second axe, je ne suis pas du tout d’accord avec la récente décision prise de recruter les diplômés chômeurs qui manifestent devant le Parlement. Non pas que je ne veuille pas qu’i y ait des recrutements, mais le bon sens voudrait qu’ils se fassent par voie de concours, car il faut recruter utile !
Il est vrai que ces diplômés chômeurs sont prioritaires parce qu’ils sont des victimes du système d’enseignement, mais cette priorité doit s’exprimer par voie de concours pour ne pas léser justement ceux qui, pour moult raisons, ne manifestent pas devant le Parlement.
Cela dit, il faut continuer à recruter dans des secteurs comme l’enseignement et la santé publique…
Il est également important qu’il y ait des recrutements au niveau de la Direction Générale des Impôts pour collecter les recettes, et surtout former des agents qui accompagneront les entrepreneurs qui veulent venir dans le formel. Ce ne sont probablement pas les Marocains qui sont mauvais payeurs, c’est l’Etat qui est mauvais percepteur.
S’agissant du troisième axe, vous n’êtes pas sans savoir qu’il faut repenser notre politique monétaire pour renforcer nos exportations et réduire nos importations. Malheureusement, aujourd’hui, on a beaucoup travaillé sur le pouvoir d’achat, ce qui est bien, mais ce n’est pas l’unique moteur de croissance.
On ne fait que consommer de la main-d’œuvre étrangère et ce n’est pas ainsi qu’on pourra créer des emplois.
Pour cela, il nous faut une forte industrialisation du pays, voilà pourquoi il faut jouer sur la monnaie.
✔ F. N. H. : Plusieurs mesures fiscales ont été appliquées ces dernières années; mais en l’absence de contrôle, comment savoir qu’elles ont atteint leur objectif, notamment la réforme de l’IR ?
✔ S. K. B. : Justement, j’avais posé une question au Parlement, mais qui est restée sans réponse : je voulais savoir si cette baisse de l’IR avait réellement profité aux salariés. Au Maroc, le salaire est discuté en net et je ne suis pas sûre que tous les employeurs ont répercuté cette baisse. Donc, j’appelle à ce qu’il n’y ait pas d’intermédiaire entre l’Etat et le contribuable. Pour cela, je sais que c’est un peu révolutionnaire, il faut obliger tous les citoyens à faire une déclaration d’impôts à la fin de l’année. En contrepartie, toutes les aides de l’Etat iraient directement aux citoyens. Cela établira une relation de confiance entre les deux parties, ce qui changera complètement la structure de la fiscalité au Maroc.
Les mesures à initier sont légion dans la logique d’une meilleure équité.
✔ F. N. H. : Qu’en est-il de la TVA ?
✔ S. K. B. : Il s’agit d’un impôt très important qui est, en principe, censé structurer l’économie. Mais on constate que c’est le consommateur final qui paye le plus la TVA, 20 %.
Nous constatons également qu’il y a des exonérations de TVA par secteur; or, il ne faut exonérer que l’export.
Et pour améliorer la trésorerie des entreprises, il faut enlever le système du mois butoir qui est appliqué au Maroc et nulle part ailleurs. En effet, les entreprises qui paient la TVA doivent être remboursées le mois même pour pouvoir payer leurs fournisseurs et ne pas se retrouver dans un quelconque engrenage.
Le système actuel est donc aberrant et, pour y remédier, il suffira d’une signature et non pas d’investissements !
L’autre problème grave est celui de l’achat des factures par les entreprises, malheureusement au su de tout le monde, notamment de la DGI. Où est l’équité fiscale là-dedans ? Nous avons un système fiscal qu’il faut mettre à plat. Mais alors complètement ! ■
Propos recueillis par Imane Bouhrara Dévaluer le Dirham ? «Pourquoi pas ! Rien n’est tabou. Dans la mondialisation, il y a l’intérêt souverain du pays. Ce qui est sûr, c’est que nous ne pouvons plus continuer avec des balances commerciale et de paiements qui n’arrêtent pas de se dégrader». La coalition des huit, no comment ! «L’USFP n’a pas émis de communiqué; donc il n’y a pas de position officielle du parti vis-à-vis de cette coalition de huit partis. Le seul regret est que deux partis de gauche rejoignent cette coalition, parce que nous pensons que le Maroc a plus que jamais besoin d’un pôle de gauche fort». Alliance avec le PJD ? «Au Parlement, nous nous sommes souvent retrouvés à défendre les mêmes projets. Le PJD ne m’effraie pas à partir du moment où les libertés individuelles sont garanties par la Constitution et que la chose religieuse est entre les mains du Roi qui est Amir Al Mouminine. Pour le reste, si nous partageons un même projet social et sociétal pour lutter contre l’injustice, il n’y a pas de raison de ne pas mettre en commun les moyens pour concrétiser ce projet. Concernant la campagne électorale proprement dite, il faut savoir que les alliances stratégiques se définissent au sein du Congrès du parti. Celui de 2008 a permis de définir notre alliance qui repose premièrement sur la gauche, et nous essayons de raviver le pôle de gauche. Pour ce qui est du regroupement pour gouverner, ce qui est différent d’une alliance, cela dépendra du programme de chacun. Mais il faut veiller à l’homogénéité du gouvernement.