3 ans et demi après la création du Fonds Mediterrània Capital, l’heure est au bilan.
Explications d’Albert Alsina, managing partner Mediterrània Capital et Directeur de Riva y Garcia, banque d’affaires catalane, sur les opportunités d’investissement dans la région du Maghreb et plus particulièrement au Maroc.
• Finances News Hebdo : Quel est l’objectif du Fonds Mediterrània Capital, créé en 2008 par l’ICF (Institud Català de finances), avec l’ICO (Instituto de Credito Oficial) en partenariat avec des institutionnels espagnols et européens comme la BEI (Banque Européenne d’Investissement) ?
• Albert Alsina : Le Fonds «Mediterrània Capital» est un fonds dont l’objectif est d’investir dans la PME marocaine, catalane, espagnole et européenne qui souhaitent développer leurs projets au Maroc.
Le Fonds investit entre 1 à 9 millions d’euros par projet.
Depuis trois ans et demi, nous avons investi au Maroc 10 millions d’euros et nous comptons y investir 10 millions d’euros supplémentaires.
• F. N. H. : Ce Fonds est doté d’un montant de 62,5 millions d’euros. Comment est-il réparti entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, pays auxquels il est destiné ?
• A. A. : Nous sommes en phase de finaliser notre plan d’action pour cette année. En effet, nous ambitionnons d’investir au Maghreb pour cette année comme suit : le Maroc recevra 40 % de la somme totale investie par le Fonds, suivi de la Tunisie avec 35% et enfin l’Algérie avec 25%.
Normalement, le mécanisme d’investissement fonctionne sur une période de 5 ans, pour investir, suivi d’une seconde période de 5 ans pour désinvestir. Par conséquent, aujourd’hui nous disposons d’un an et demi de plus pour continuer et finaliser cette phase d’investissement.
• F. N. H. : Trois ans après la création du Fonds «Méditeranià Capital», quel bilan dressez-vous pour la région et pour le Maroc plus particulièrement ?
• A. A. : Nous sommes très heureux de ce projet pour diverses raisons. La première, c’est que nous avons réussi à développer un portefeuille de quatre entreprises au Maroc.
Ces entreprises sont aujourd’hui en phase d’expansion et de croissance de leur chiffre d’affaires permettant ainsi une diminution de la dette nette. C’est un exemple clair de création de valeur grâce au capital-développement et à un processus de gestion professionnel et une gouvernance optimale.
Au sein de Mediterrània Capital, nous partageons les mêmes ambitions que nos partenaires et contribuons ainsi, toujours en collaboration avec ces derniers, à la création de valeur dans les entreprises dont nous détenons tout ou une partie du capital.
Nous élaborons des stratégies de croissance à long terme et mettons en place les leviers nécessaires pour accompagner les PME affiliées vers le succès.
• F. N. H. : La crise européenne et le printemps arabe ont-ils impacté la stratégie de développement du Fonds dans la région du Maghreb ?
• A. A. : Avec le printemps arabe nos investisseurs, majoritairement espagnols, ont réfléchi aux risques liés à cette région. Nous les avons rassurés et encouragés à investir au Maroc, en Algérie et en Tunisie en soutenant que c’est au contraire une bonne opportunité à saisir.
Les Européens ont une vision généraliste sur la région du Maghreb alors que celle-ci ne constitue pas un bloc monolithique. Seules les personnes qui connaissent bien la région savent que chaque pays présente des caractéristiques socio-économiques différentes.
Et pour rassurer nos investisseurs, nous travaillons avec la Banque mondiale. Cette dernière dispose d’un département appelé MIGA spécialisé en assurance des investissements dans les pays émergents. Dans ce sens, nous avons signé un accord avec cette entité pour assurer 90% de tous nos investissements au niveau du Maghreb.
• F. N. H. : Quels sont les critères dont vous êtes sûrs pour accompagner les entreprises marocaines ?
• A. A. : Pour accompagner une société, nous nous basons sur trois critères. Premièrement, le capital humain de la société. En effet nous considérons l’excellence des ressources humaines comme le facteur principal dans le succès dans tout projet.
Deuxièmement, une combinaison optimale entre la rentabilité et le risque du projet.
Troisièmement, le retour sur investissement. Après une durée d’accompagnement de 5 ou 7 ans, la société est apte à prendre son envol et son autonomie. Il faut s’assurer que la durée de désinvestissement soit optimale également.
• A. A. : La spécialisation de Mediterrània Capital est à la fois généraliste et bien diversifiée. Elle est destinée principalement aux :
• secteurs majeurs à haut potentiel au Maroc, en Tunisie, en Algérie, avec une préférence pour les petites et moyennes entreprises, avec un fort potentiel notamment dans les projets innovants accélérateurs de croissance et d’efficacité ;
• entreprises exportatrices du Maghreb vers l’Union européenne ;
• secteurs non traditionnels mais qui apportent de l’innovation, avec un fort potentiel de croissance et un intérêt stratégique pour la région du Maghreb.
Actuellement, la banque d’affaires s’est attelée à diversifier le portefeuille de participation de Mediterrània Capital dans des secteurs à fort potentiel, à savoir les NTIC, les métiers du bâtiment, la floriculture, etc. Parmi les neuf sociétés du portefeuille au Maghreb, le Fonds a pris quatre participations au Maroc :
• Soroa Pépinières, entreprise leader dans la production de plantes ornementales (janvier 2010),
• JP Industries, entreprise spécialisée dans la menuiserie aluminium et PVC, qui vient de doubler son chiffre d’affaires en 2011 (juin 2010),
• Diffazur, entreprise spécialisée dans la vente en gros de matériels et logiciels informatiques. C’est le deuxième distributeur sur le marché marocain (décembre 2011),
• First Telecom, entreprise spécialisée dans la distribution de produits de télécommunication (janvier 2012).
Nous disposons d’un plan de croissance ambitieux avec un appui important en capitaux pour accompagner ces entreprises dans leur développement.
• F. N. H. : Riva y Garcia étant la banque d’affaires gestionnaire du Fonds, quelle part détenez-vous dans la société ?
• A. A. : Nous sommes une banque d’affaires qui opère généralement à hauteur de 49% du capital de la société affiliée. Nous sommes conscients que l’entrepreneur doit préserver son pouvoir de décision.
• F. N. H. : Comment se traduit votre accompagnement aux entreprises ?
• A. A. : En fait, le processus d’accompagnement ne s’arrête pas avec l’investissement dans le capital d’une société déterminée mais se prolonge jusqu’au désinvestissement effectif, et continue pendant la longue période de suivi et contrôle de la société dans le portefeuille.
Théoriquement, nous opérons en deux phases. Premièrement, nous mettons en place un système de gouvernance de proximité qui aide les entrepreneurs à disposer de tous les moyens afin de développer l’entreprise. Deuxièmement, nous introduisons trois processus clés dans les sociétés affiliées, à savoir les processus stratégique, budgétaire et celui des ressources humaines.
Aujourd’hui, dans plusieurs PME, l’entrepreneur, seul, n’a ni la capacité ni le temps de mettre en place des processus structurés dans sa société. Souvent, il est amené à prendre des décisions avec les moyens du bord.
• F. N. H. : Quelle est votre stratégie d’investissement pour la période restante?
• A. A. : Aujourd’hui, nous sommes en phase d’étudier une dizaine de dossiers et nous sommes prêts à réceptionner d’autres dossiers d’accompagnement.
Nous cherchons à investir dans deux autres projets dont le montant de l’investissement pour chacun est de 2 à 5 millions d’euros dans toute la région, afin d’avoir au total 11 à 12 entreprises maghrébines.
Nous souhaiterions investir dans les secteurs de biens de consommation, de la logistique, de la santé et aussi du BTP.
• F. N. H. : La Catalogne est le premier partenaire commercial du Maroc dans le Royaume Ibérique ; qu’en est-il des investissements catalans au Maroc en 2011 ?
• A. A. : Nous pouvons constater que les investissements catalans au Maroc en 2011 ont connu une augmentation importante. En effet, La Catalogne représente 23% du PIB espagnol et 30% de toutes les exportations de l’Espagne. Le Maroc est aujourd’hui le 3ème pays d’export après l’Union européenne et les Etats-Unis.
Ceci dit, pour la Catalogne le Maroc est géopolitiquement un pays stratégique du fait qu’il représente une porte d’entrée en Afrique. Dans ce sens, la visite de M. Arthur Mas, président de la communauté autonome de Catalogne (La Generalitat) et de M. Xavier Mena, ministre catalan de l’entrepreneuriat et du tourisme, en compagnie de plus de 200 entrepreneurs espagnols, prouve la volonté des Catalans de renforcer la coopération entre les deux rives.
• F. N. H. : La PME au Maroc représente plus de 90% du tissu économique marocain ; cependant, sa participation au PIB reste encore faible. Quel regard portez-vous sur cette PME ?
• A. A. : Notre ambition est d’accompagner les PME marocaines vers le succès et nous sommes convaincus que l’avenir du Maroc dépendra du développement de la PME marocaine en créant de la richesse et de l’emploi.
Durant ces quatre dernières années, nous avons remarqué une évolution exponentielle des PME marocaines grâce aux efforts alloués de la CGEM et d’autres institutions.
• F. N. H. : Quel rôle peut jouer le capital-investissement pour dynamiser ce segment d’entreprise ?
• A. A. : Aujourd’hui, la PME rencontre trois problèmes. Premièrement, les PME ne sont pas capables de proposer un dossier convaincant aux institutions financières. Deuxièmement, l’incapacité de la PME de disposer d’un fonds suffisant au démarrage de l’activité. Et troisièmement, la PME souffre d’un déséquilibre fréquent de son bilan.
Le capital-développement, qui est un moyen de financer le démarrage ou le développement d’une entreprise, joue un rôle majeur pour aider les PME à atteindre le succès.
Parmi les moyens que nous déployons pour contribuer au développement des PME figurent :
• l’asymétrie d'information ; nous connaissons exactement de quel type d’information les institutions financières ont besoin ;
• le financement des projets et non pas des actifs ;
• la possibilité d’avoir, avec le capital-investissement, plus de capitalisation dans la société,
• le capital-investissement investi en fonds propres, en capital et non pas en dette.
• F. N. H. : Quelles sont vos perspectives pour 2012 ?
• A. A. : Il est possible que l’année 2012 soit une année un peu plus difficile que l’année précédente, surtout qu’il existe un délai de paiement par rapport à tous les projets publics. Ceci affectera certainement le marché. Pour remédier à cela, il est important que le gouvernement fasse des efforts pour accélérer les paiements puisque la majorité de ces paiements vont aux PME. Cependant, même si l’Europe subit des crises, le Maroc ne devrait pas être aussi impacté que les autres pays.
Les grands catalyseurs de la croissance dans les dix ou vingt prochaines années dans la région seront les classes moyennes qui grandissent de plus en plus.
Propos recueillis par L.Boumahrou