Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, Politologue
Que le nouveau cabinet ait eu, dès le départ, un capital de confiance, n'est guère contestable. Il succédait à un gouvernement PJD qui accusait un déficit à cet égard. Les opérateurs ne s'y sont pas trompés; ils le créditent, tout en restant en veille vigilante, d'une capacité à relancer la machine économique. A preuve, un bon indicateur : celui de la Bourse de Casablanca. Celle-ci a en effet enregistré un bond de 18,35% à la fin de l'année écoulée, alors que 2020 avait accusé une baisse de -7,27 %. De plus en plus d'épargnants reviennent ainsi sur les actions; ils confient leur argent à des gestionnaires de fonds, lesquels ont enregistré un gain annualisé de 18,56%.
Le placement de l'épargne en actions dans des OPCVM a donc été une bonne opportunité. Qu'en sera-t-il pour 2022 ? Y aura-t-il une nouvelle performance indicielle? Il faut bien relever une politique novatrice du gouvernement avec le lancement d'une offre intégrée baptisée «Offre PM» : elle doit aider à faciliter l'accès au financement par le marché des capitaux. Elle vise les PME voulant leur introduction sur le nouveau marché alternatif de la Bourse de Casablanca. Elle est assortie de conditions attractives (réduction de 50% des commissions d'introduction, un dispositif de formation et d'accompagnement, création de l'Association marocaine des entreprises faisant appel à l'épargne). L'on retrouve là, l'un des axes recommandés par le nouveau modèle de développement (NMD) sur la promotion du marché des capitaux en tant que levier de la croissance et de la relance économique.
Des réformes stratégiques en instance
Il faut cependant aller plus loin et prendre en charge des réformes stratégiques encore en instance. Le diagnostic a été fait : il a trait aux insuffisances des fonctions entrepreneuriales dans l'économie. Que faire ? Conforter un environnement économique plus attractif, pouvant stimuler et soutenir davantage l'initiative privée et libérer ainsi les énergies et les potentialités existantes. Il s'agit de réunir les conditions durables d'une plus grande efficience de l'appareil de production. Dans ce schéma, l'Etat a un rôle à jouer : assurer la production des biens communs, assister les secteurs innovants, mieux réguler le marché... Le rapport du NMD l'a recommandé en termes clairs : «L'émergence d'une économie sociale structurée et innovante, capable de produire des services collectifs et de créer de la valeur économique dans tous les territoires». Il y a bien un Comité national de l'environnement des affaires (CNBA), mais ses recommandations et ses travaux ont-ils été suivis par des mesures concrètes ? Partiellement, en tout cas... Le discours sur la nécessité de poursuivre et de parachever bien des réformes est dominant. La CGEM et les opérateurs économiques plaident de manière accentuée dans ce sens; les décideurs publics - avec à leur tête le gouvernement et ses départements spécialisésne l'ignorent pas sans doute. Mais il manque un vigoureux élan, fût-ce à marche forcée. L'enjeu ? Il est connu : assurer un meilleur ancrage de l’économie nationale et améliorer son positionnement dans les chaînes de valeur mondiale. Cela commande quoi au juste ? Un cadre législatif et réglementaire incitatif.
Attractif aussi. Il faut y ajouter ceci: une valorisation et une plus grande qualification des ressources humaines; des équipements et des infrastructures appropriés; la facilitation de l'accessibilité au foncier et au financement. Autre chantier. La réforme de la justice dans le sens de sa prévisibilité, de plus de célérité et de la sanction de certains maux tels la corruption ou encore le manque de sécurité juridique et judiciaire. Dans cette même optique de sécurisation de la vie économique et des activités des entreprises, la réforme des rapports avec l'Administration n'est pas la moins contraignante : tant s'en faut. La réglementation ? Elle est souvent complexe avec des pratiques bureaucratiques; l'instabilité est aussi un marqueur, d'une année sur l’autre, parfois même en cours d'exercice budgétaire... Les procédures sont à simplifier avec la généralisation du numérique qui offre, par ailleurs, davantage de transparence. Les règles de la concurrence doivent être fortement consacrées pour faire prévaloir une saine compétitivité obérée par tant de phénomènes négatifs : ententes illégales, délits d'initiés et conflits d'intérêts. Il a été proposé à cet égard une mesure utile pour une meilleure protection de l'entreprise : celle d'un défenseur de l'entreprise. Cela pourrait se faire soit par l'extension des attributions actuelles du médiateur, soit par une nouvelle institution ad hoc, rattachée au Chef du gouvernement et qui œuvrerait pour assurer une médiation active.
Le nouveau ministre du Commerce et de l'Industrie, Ryad Mezzour, s'en est expliqué ces derniers jours. Il considère que «le gouvernement est dans l'action»; soit. Il a ainsi fait référence à un plan de relance qui a vu 40% des emplois industriels récupérés; à 400.000 emplois créés aussi, soit les deux tiers; mais pas de grand sauvetage - les secteurs du tourisme, des transports et toutes les activités qui y sont liées sont toujours en situation de sinistre -. Les indicateurs sont contrastés pour d'autres secteurs. Le compte courant s’est aggravé avec - 2,5% contre -1,51% en 2020 : il va se creuser davantage en 2023 et même en 2024, avec un taux négatif de 5% par rapport au PIB. Mais d'autres agrégats s'améliorent : exportations (+22 %) tirées par la forte hausse des cours des phosphates et dérivés (+52%), de l'automobile, de l'aéronautique, du textile (+20%), de l'agriculture et de l'agroalimentaire (+10%). En revanche, les importations ont progressé (24%), creusant le déficit à hauteur de 26% par suite, entre autres, de l'envol de la facture énergétique de 67 milliards de DH (+49%), avec un cours de plus de 80 dollars le baril. Pour ce qui est des IDE, leur flux a été en hausse en 2021 avec 27,3 milliards de DH (+14%); il est encore loin cependant du niveau des années pré-Covid (31,3 en 2019 et 43 en 2020). Les mécanismes de substitution mis sur pied par le gouvernement sortant- sous la houlette de Moulay Hafid El Alamy - portent leurs fruits. En quinze mois, 810 projets d'investissement ont été déposés; 731 d'entre eux ont été finalement retenus pour un total de 35 milliards de DH et la création de quelque 130.000 emplois. Un programme qui avance, avec 70% des opérateurs qui ont déjà acquis le terrain. Le capital national est mobilisé dans ce programme avec pas moins de 90% par rapport à l'ensemble.
L'investissement industriel, désormais de l'ordre de 30%, supplante l’immobilier. Reste le taux de crédit qui, avec 4,5% à 5% reste élevé, même si la marge nette dans le secteur industriel tourne autour de 9 à 10%. Les fonds propres ainsi mobilisés sont de 30% environ, les concours bancaires supportant les 70% restants. L'application des 54 accords de libreéchange fait l'objet d'une mise au net. Ils intéressent une bonne centaine de pays ouvrant ainsi un marché potentiel de quelque deux milliards de personnes. Ils ont été revus avec la Turquie et la Tunisie pour garantir davantage de réciprocité. Il s'agit de veiller à la capacité de protéger le marché intérieur marocain et d'être compétitif sur le marché mondial. Ces ALE ont eu souvent des effets négatifs : pertes d'emplois, fragilisation de certaines filières (textile, agroalimentaire, sidérurgie,...). Il manque, pour ce qui est du volet de la gouvernance, un cadre de coordination optimale pour gérer tout le processus de libre-échange - une refonte nécessaire du département du Commerce - ... D'autres dossiers sont sur la table si l'on veut «booster» durablement la croissance et consolider le développement: une politique en matière d’intrants, le coût logistique, un programme de décarbonation, une libéralisation du coût de l'énergie avec l'accès des PME et des TPME à l'énergie moyenne tension, l'accélération d'une politique de l'industrie 4.0 (nouveaux métiers, robotique ...). Plus de visibilité donc à la politique économique; plus de lisibilité aussi. Et une accélération du rythme des réformes.