ENTRETIEN : Rapport Doing Business 2017 : Le Maroc gagne 7 places et se classe 68 ème mondial

ENTRETIEN : Rapport Doing Business 2017 : Le Maroc gagne 7 places  et se classe 68 ème mondial

THAM ELM

Très attendu chaque année par les observateurs et la presse,

le rapport Doing Business pour 2017 élaboré par la Banque mondiale vient de livrer son verdict : le Maroc gagne 7 positions et se classe désormais à la 68ème place mondiale (1er en Afrique du Nord, 3ème en Afrique et 4ème dans la région MENA). Retour sur ce classement avec Thami El Maaroufi, conseiller auprès du Chef du gouvernement en charge de l'amélioration de l'environnement des affaires, qui détaille pour Finances News Hebdo les actions menées par la Primature pour améliorer le classement du Maroc et remédier aux vulnérabilités qui le pénalisent encore. Entretien.

Finances News Hebdo: Le nouveau rapport Doing Business vient de rendre son verdict. Le Maroc gagne 7 places par rapport à l’an dernier. Pourriez-vous nous faire une lecture rapide des résultats du nouveau Rapport Doing ?

Thami El Maaroufi: Dans la nouvelle édition du «Doing Business 2017», le Royaume a continué sur sa tendance positive, en se positionnant actuellement au 68ème rang parmi les 190 pays concernés par ce rapport (il était classé 75ème en 2016 ndlr). Il assure ainsi le leadership par rapport aux pays de l’Afrique du Nord en déclassant pour la première fois la Tunisie qui se retrouve désormais à la 77ème place.

Au niveau du continent, le Maroc arrive cette année à occuper la 3ème place après avoir été à la 8ème place en 2012, tout en réduisant considérablement l’écart par rapport aux deux pays qui le devançaient, à savoir l’Ile Maurice (49) et le Rwanda (56), tout en notant qu’il s’agit de deux pays aux réalités économiques limitées par rapport au Maroc. En comparaison avec d’autres pays africains, le Maroc a pu cette année devancer dans le classement Doing Business plusieurs pays comme l’Afrique du Sud (74ème), la Tunisie (77ème), la Zambie (98ème), le Ghana (108ème), l’Egypte (122ème) ainsi que l’Algérie qui occupe le 156ème rang mondial.

Par rapport à la région MENA, le Maroc est classé 4ème après avoir été à la 8ème position en 2012. Il est actuellement devancé par les Émirats arabes unis (26ème), le Bahreïn (63ème) et le Sultanat d’Oman (66ème). A cet effet, le Maroc a non seulement réduit l’écart qui le séparait de ces pays, mais également devancé d’autres pays tels que le Qatar (83ème), l’Arabie saoudite (94ème), le Koweït (10ème), la Jordanie (118ème).

F.N.H.: Quels sont les indicateurs qui progressent et qui affichent une bonne santé, et au contraire ceux qui tirent vers le bas notre classement ?

T. E.: S’agissant du classement par indicateur et eu égard aux résultats enregistrés cette année, on peut distinguer deux catégories. La première est relative aux six indicateurs suivants : l’octroi du permis de construction (18ème rang mondial), la création d’entreprise (40èmerang), le paiement des taxes et impôts (41ème rang), le raccordement à l’électricité (57ème rang), l’exécution des contrats (57ème rang) et le commerce transfrontalier (63ème rang). Par rapport à ces cinq indicateurs, le Maroc est positionné aux environs de la 46ème place mondiale, soit 22 places de mieux que le classement global actuel.

La deuxième est relative aux quatre indicateurs suivants: le transfert de propriété (87ème rang), la protection des investisseurs minoritaires (87ème rang), l’obtention des prêts (101ème rang) et le règlement de l’insolvabilité (131ème rang). Il y a lieu de noter que ces quatre indicateurs nivellent le classement général du Royaume vers le bas. Cela dit, la production de réformes ciblant ces quatre domaines du cycle de vie de l’entreprise, sont a même d’améliorer le classement, et devrait en conséquence permettre à notre pays d’être dans le Top 50, soit au niveau des pays émergents.

F.N.H.: Justement, quelles sont les actions menées pour remédier à ces vulnérabilités (insolvabilité, protections des suretés, etc.) ?  

T. E.: Il y a lieu de noter que l’appellation de l’indicateur «Obtention de prêts» est trompeuse dans le sens où celuici ne mesure pas les conditions d’obtention du crédit ou la profondeur du marché financier. L’indicateur en question évalue la protection juridique des emprunteurs et des prêteurs dans le cadre des transactions de créances (le droit des sûretés) ainsi que la disponibilité des informations sur les emprunteurs (Credit bureau). Par rapport à la deuxième partie de l’indicateur, le Maroc enregistre presque la note maximale. Cependant, le cadre juridique actuel afférent à l’indice de la protection juridique des emprunteurs et des prêteurs pénalise le classement du Maroc par rapport à cet indicateur.

Ainsi, et afin de remédier aux insuffisances du cadre légal en question par rapport aux normes et bonnes pratiques internationales, un projet de réforme du Système des sûretés mobilières a été inscrit dans le plan d’action du CNEA dès l’année 2013. Il comprend deux volets : la refonte globale du cadre juridique régissant les sûretés mobilières accompagnée de la mise en place d’un registre national des nantissements.

Il est à préciser que ce projet de loi, une fois adopté et publié au Bulletin officiel devrait avoir un impact systématique sur le classement du Maroc dans l’indicateur «Obtention de prêts» dans la prochaine édition du rapport Doing Business en lui permettant de passer, d’après nos simulations, de la 101ème position vers le top 30 au niveau mondial.  

En ce qui concerne l’indicateur «Règlement de l’insolvabilité» qui mesure les délais, le coût et le résultat des procédures d’insolvabilité pour les entreprises nationales ainsi que la solidité du cadre juridique applicable aux procédures de liquidation et de redressement judiciaires, le Maroc a accusé une régression notable pour se positionner à la 131ème place actuellement.

Cela explique l’intérêt de réviser le cadre juridique actuel régissant les procédures collectives qui demeure un texte assez complexe présentant des insuffisances et des lacunes dans la pratique. De même qu’il ne répond pas aux standards internationaux en la matière basés sur les principes généraux de la CNUDCI et de la Banque mondiale.  

C’est ainsi que le comité national de l’environnement des affaires a inscrit dans son plan d’action annuel de 2015 le projet de réforme du livre V du code de commerce. Ce projet de réforme, piloté par le ministère de la Justice et des Libertés, est en cours de finalisation avec l’ensemble des parties prenantes concernées. Il devra introduire un changement important dans la procédure de règlement de l’insolvabilité.

L’adoption de ce projet de réforme aura un impact significatif sur l’amélioration du classement du Maroc dans cet indicateur, en lui permettant de passer du 131ème rang au top 50 au niveau mondial.

F.N.H.: Pouvez-vous donner à nos lecteurs un aperçu sur ce Rapport et sur l’intérêt d’y être bien classé ?

T. E.: Le rapport «Doing Business» est une publication annuelle lancée en 2002 par la Banque mondiale et la Société financière internationale. Son objectif est de mesurer dans 190 pays la réglementation des affaires et son application effective tout au long du cycle de vie de l’entreprise.

Il offre annuellement, et pour chaque pays, une analyse minutieuse des réformes effectives engagées sur dix domaines d’activités du cycle de vie d’une entreprise, à savoir la création d’entreprise, le transfert de propriété, le raccordement à l’électricité, le paiement des taxes et impôts, l’accès au financement, l’autorisation de construire, la protection des investisseurs, l’exécution des contrats, le commerce transfrontalier et le règlement de l’insolvabilité. Il représente actuellement un outil de benchmark et de mesure de la compétitivité au niveau régional et international du fait qu’il est largement consulté par les investisseurs potentiels et par les bailleurs de fonds pour l’arbitrage entre les pays, le choix des destinations de leurs fonds et de l’éligibilité à recevoir les financements. Ce rapport est également très médiatisé et ses résultats sont souvent cités comme références par les journaux et magazines spécialisés, ainsi que lors des séminaires et rencontres internationales dans le monde des affaires. Il y a lieu de signaler, par ailleurs, que les bases de données et des indicateurs du programme Doing Business sont utilisés dans le calcul des indicateurs de plus de 25 rapports internationaux comme ceux du World Economique Forum, de Heritage Fondation, de Forbes, etc.

F.N.H.: Comment est élaboré le rapport Doing Business ? Quelle est la méthodologie utilisée ?

T. E.: Concernant la méthodologie d’élaboration, chacun des dix indicateurs du rapport est mesuré par la moyenne simple des valeurs d’un ensemble d’indices ou de sous-indicateurs qui évaluent et les aspects quantitatifs (tels que la pression fiscale, le coût d’une procédure) et les aspects qualitatifs (tels que la qualité d’accueil par l’administration fiscale). Les valeurs des indices sont calculées par la médiane des réponses communiquées par les contributeurs interviewés par les experts du programme Doing Business.

En pratique, les indicateurs relatifs à l’évaluation des procédures font objet de questionnaires que les experts du programme Doing Business à la Banque mondiale envoient à un panel de répondants au Maroc. Il s’agit de praticiens dans différents domaines économiques et financiers. Les réponses sont analysées et ces indicateurs sont notés selon les coûts et les délais recensés. Pour les indicateurs relatifs aux lois et réglementations, les évaluateurs analysent ces textes à la lumière de normes internationales et de barèmes qui permettent d’affecter une note.

Reste à souligner que des améliorations sont apportées régulièrement à la méthodologie des indicateurs pour les rendre beaucoup plus efficaces en termes d’identification de la réalité des pratiques sur le terrain et pour tenir compte de la qualité des services offerts aux entrepreneurs.

F.N.H.: Comment agissent les services du Chef du gouvernement, et notamment le CNEA (Comité national de l’environnement des affaires), pour l’amélioration du classement de notre pays au sein de ce Rapport ?

T. E.: Pour mieux vous expliquer ce rôle, il va falloir revenir un peu dans l’histoire de la gestion de ce classement et rappeler qu’en 2008-2009 le Royaume était au 129ème rang mondial. Ceci donnait une image négative de notre pays en termes de facilitation d’entreprendre et par rapport aux procédures et à la réglementation applicables au secteur privé marocain.

Deux choix s’offraient alors au Maroc : entreprendre de petites actions ou des «mesurettes» pour satisfaire ainsi les exigences méthodologiques du programme Doing Business et de là, grimper rapidement dans le classement en question, ou, produire des réformes structurelles et soutenables, et inscrire l’amélioration du classement dans le temps avec un rythme d’évolution probablement moins rapide, mais dans une cohérence globale de l’environnement des affaires et surtout, avec un impact réel sur l’entreprise marocaine.

C’est ce deuxième choix qui a été finalement mis en place, et aujourd’hui on peut affirmer avec certitude qu’il était judicieux, et qu’il nous a permis en l’espace de six ans de gagner 61 places dans ce classement international, tout en réalisant un ensemble de réformes programmées.

C’est ainsi que le CNEA fut créé en 2010, à l’initiative de Nizar Baraka, à l’époque ministre des affaires économiques et générales, et mis sous la présidence directe du Chef du gouvernement. Il a été institutionnalisé par le décret n° 2-10-259 publié au Bulletin officiel le 2 décembre 2010.

C’est en vertu de ce décret que le CNEA a pour mission de proposer au Gouvernement les mesures à même d'améliorer l'environnement et le cadre juridique des affaires, d'en coordonner la mise en œuvre et d'en évaluer l'impact sur les secteurs concernés. Il exerce sa mission en concertation directe avec les différents partenaires publics et privés concernés et selon une approche innovante de travail collaboratif avec l’ensemble des parties prenantes concernées par le monde des affaires. L’approche participative adoptée par le CNEA et la mobilisation de ses membres ont permis de le placer comme un catalyseur de réformes au Maroc en identifiant les mesures les plus pertinentes, d’accélérer leur mise en œuvre et d’améliorer structurellement le cadre juridique et opérationnel de l’acte d’entreprendre et d’investissement.

Le CNEA travaille également sur l’amélioration de l’image du Maroc à l’international en étudiant, analysant et proposant des réformes pour un ensemble de rapports et classements internationaux, dont notamment le Doing Business. C’est ainsi que chaque année, le Secrétariat du comité et en collaboration avec l’ensemble des administrations et organismes concernés, présente un «dossier Maroc» à l’équipe des experts du Doing Business à Washington et procède à des échanges permanents avec eux, pour mieux présenter l’ensemble des réformes accomplies par le Maroc au profit de l’entreprise et du secteur privé national.

Propos recueillis par A. Elkadiri

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