Entretien : «Le Maroc ne peut ni s’affranchir des dons, encore moins de l’endettement»

Entretien : «Le Maroc ne peut ni s’affranchir des dons, encore moins de l’endettement»

najib akesbi

Les dons ne cessent de prendre de l’importance dans le Budget de l’Etat, comme en témoigne leur augmentation pour se situer à 15 Mds de DH en 2014. Du reste, Najib Akesbi, professeur de l'enseignement supérieur à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV) de Rabat, attire l’attention sur la question de fond, qui n’est autre que la carence des ressources fiscales astreignant l’Etat à compter sur les dons, et surtout de recourir à l’endettement qu’il juge massif, voire dangereux.

Finances News Hebdo : Déjà en 2014, le rapport de Bank Al-Maghrib (BAM) concernant les finances publiques, faisait état d’une légère atténuation du déficit à 4,9% du PIB. Certes, BAM reliait ce résultat aux recettes fiscales mais aussi aux importantes entrées de dons des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui ont atteint près de 15 milliards de dirhams en 2014 (soit 1,4% du PIB). Que vous inspirent ces chiffres, sachant que le recul du déficit du compte courant (5,6% du PIB), à la même période, a été induit par le tirage des dons des pays du CCG ?

Najib Akesbi :  A mon sens, la réduction du déficit budgétaire n’est pas spécialement due à l’augmentation des dons, qui ont toujours existé et continueront d’exister. Cela dit, on constate que les dons prennent une importance plus grande à des moments de l’histoire du pays, comme c’est le cas actuellement. Du reste, la première raison évidente du recul du déficit budgétaire est la chute des cours mondiaux du baril de pétrole, qui a provoqué la baisse des subventions de la Caisse de compensation. D’ailleurs, il convient de rappeler que celle-ci, avait absorbé, à elle seule, près de 7% du PIB en 2012. Partant, il est clair que le repli du déficit de 2 ou de 3 points de PIB de la Caisse de compensation, entraîne de facto l’allégement du déficit du Budget de l’Etat. Par ailleurs, la question des dons revêt une dimension autrement plus importante, en la traitant dans le cadre général des questions budgétaires. J’ai toujours dit que le problème de fond du Budget au Maroc se situe au niveau des ressources de l’Etat. La raison fondamentale du déficit budgétaire est liée au manque de ressources fiscales. Manifestement, il y a une carence de ressources en raison de l’absence de réformes fiscales. Nous continuons à avoir un système fiscal inefficace, dans la mesure où il n’arrive pas à remplir sa première fonction financière en alimentant le Budget de l’Etat en ressources fiscales suffisantes. Je vous rappelle que le taux de couverture des dépenses du Budget de l’Etat par les ressources fiscales proprement dites ne dépasse pas 58%. J’estime que ce ratio résume parfaitement la situation actuelle. Les ressources fiscales, qui sont les ressources propres de l’Etat, ne financent même pas 60% des dépenses de celui-ci. Il reste donc 40% des dépenses à financer à travers l’endettement ou les dons qu’un Etat ou un groupe d’Etats octroie au Maroc. Au demeurant, le déficit budgétaire peut être réduit par une conjoncture mondiale favorable ou grâce aux dons exceptionnels, à l’instar de ceux des pays du Golfe. Il faut savoir que les phénomènes conjoncturels peuvent atténuer ou accentuer l’ampleur du déficit budgétaire, mais non le supprimer. 

F.N.H. : La Loi de Finances 2015 prévoyait des recettes de dons de l'ordre de 13 Mds de DH. Or, d'après BAM, jusqu'à fin août 2015, seuls 6 Mds de DH issus des pays du CCG ont été perçus. Dans l'hypothèse où le montant de 13 Mds de DH de dons ne serait pas atteint, comment, selon vous, l'Etat pourrait-il combler ce manque à gagner ? 

N. A. : Par définition, les dons relèvent du bon vouloir des donateurs. Il se trouve que les pays du CCG avaient promis au Maroc une enveloppe dans une conjoncture politique et stratégique particulière (Printemps arabe). De plus, ces pays traversaient une période économique particulièrement florissante, avec des cours du baril de pétrole particulièrement élevés à l’époque. Ce qui avait amélioré sensiblement leur situation financière. De ce fait, ces Etats pouvaient donc se permettre de faire des promesses généreuses. Aujourd’hui, le vent a tourné, les cours mondiaux du baril de pétrole ont fortement chuté, entraînant une baisse des ressources de ces pays. Je ne connais ni les détails ni les raisons particulières pour lesquelles les ressources promises n’arrivent pas à temps ou n’arriveront peut-être même pas. Mais j’estime qu’il n’est pas difficile de comprendre que la situation a changé, et que les ressources des principaux donateurs du Maroc ont baissé. Nous subissons de manière indirecte les conséquences négatives de la baisse des prix du pétrole. Pour un pays importateur de pétrole comme le Maroc, le repli des prix des produits énergétiques est certes une bonne chose, mais peut aussi être handicapant par le biais des dons en provenance des pays du Golfe. Pour répondre à votre interrogation, je pense que la vraie question n’est pas de savoir comment combler ce manque à gagner de 7 Mds au niveau des dons, puisque, comme je l’ai évoqué plus haut, structurellement, l’Etat a besoin de plus de 40% de ses ressources propres pour faire face à ses dépenses. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle le niveau de la dette du pays progresse dangereusement. A cela faudrait-il ajouter que manifestement le niveau des dons diminue, l’Etat n’a d’autres choix que de recourir à l’endettement. 

F.N.H. : Dans le contexte actuel, le Maroc peut-il s'affranchir des dons et continuer à maintenir un niveau d'endettement et de déficit budgétaire tolérable ? 

N. A. : Le Maroc ne peut ni s’affranchir des dons, encore moins de l’endettement. A côté de l’endettement, les dons restent tout de même minimes. Je vous rappelle que la deuxième source de financement du Budget de l’Etat marocain, après les recettes fiscales, reste l’endettement et non les dons. En fin de compte, l’Etat a besoin de tous types de ressources (dons, emprunts), en raison de sa situation de déficit chronique au niveau des ressources fiscales. 

F.N.H. : On remarque une nette prédominance des pays du CCG au niveau des donations octroyées au Maroc par rapport aux Etats européens. A quoi faut-il relier cette situation ? 

N. A. : Il faut comprendre que l’octroi de dons découle de considérations politiques et des stratégies de donation des Etats ou des groupes de pays. Traditionnellement, les pays du Golfe aident leurs amis politiques en leur octroyant des dons. L’Union européenne a une politique plus mitigée, voire plus partagée. Elle consent des prêts et quelques dons dans le cadre des protocoles financiers et des accords conclus avec le Maroc. Il est clair que les dons de l’UE n’ont pas la même importance que ceux des pays du Golfe. Il faut savoir que l’UE donne au Maroc en 4 ou 5 ans, ce qu’un pays du Golfe octroie au Royaume en une année. 

Propos recueillis par Momar Diao

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