Le Maroc a été l’un des premiers pays qui a essayé de renforcer sa souveraineté industrielle pour répondre à l’urgence qu’imposait l’épidémie.
Selon Khalid Karbouai, professeur universitaire et expert en entrepreneuriat, la consommation locale permet de réduire la facture d’importation de certains produits, d’équilibrer la balance commerciale et réduire la sortie de devises.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : La pandémie a donné un coup de pouce au made in Morocco, à travers la création de produits compétitifs 100% marocains (concentrateur à oxygène, masques ...). Quel constat faites-vous du made in Morocco ?
Khalid Karbouai : L’épidémie de la Covid19 a pris le monde par surprise. En effet, elle a provoqué une profonde perturbation du commerce mondial, avec une croissance de seulement 0,8% en 2020 au lieu de 2,5% en 2019, affectant à la fois l’offre et la demande de l’économie mondiale. Du coup, les chaînes d’approvisionnement se sont ébranlées dans le monde entier. Elle a mis également en lumière une dépendance industrielle et stratégique trop importante de notre pays. Le Maroc n’a pas échappé à cette crise et a subi de plein fouet ses retombées négatives. En 2020, 432.000 emplois ont été perdus, concentrés essentiellement dans les secteurs de l’agriculture et des services, de même que le nombre d’heures de travail a reculé de 20% par secteur d’activité, subissant les conditions climatiques défavorables pour la deuxième année consécutive. L’agriculture a accusé une destruction de 273.000 postes contre 146.000 en 2019. Quant au secteur des services, il a affiché une régression, la première depuis 2000, de 107.000 emplois. Dans l’industrie y compris l’artisanat et le BTP, la diminution a été relativement limitée, avec des pertes de 37.000 et de 9.000 postes au lieu des augmentations de respectivement 17.000 et de 24.000.
En 2020, sous l’effet des restrictions sanitaires et des conditions climatiques défavorables qui ont notamment réduit les revenus des ménages, la demande intérieure a connu une contraction de 6% sur l’ensemble de l’année. Sa contribution à la croissance est ressortie ainsi négative de 6,5 points de pourcentage au lieu d’une participation de 1,8 point un an auparavant. Face à cette situation et dès le premier confinement, le Maroc a été l’un des premiers pays à avoir tenté de renforcer sa souveraineté industrielle pour répondre à l’urgence qu’avait imposée cette pandémie. Plusieurs usines se sont mises à fabriquer des millions de masques afin de répondre d’abord à la demande locale, et puis internationale, avec plus de 18,5 millions d’unités exportées vers 11 pays. D’autres projets innovants ont pu être réalisés, comme la fabrication de concentrateurs à oxygène et de lits de réanimation 100% marocains ainsi que des produits de grande consommation. Cependant, il y a un décalage entre la volonté d’acheter des produits marocains et la réalité de consommation. Différentes raisons peuvent expliquer cette situation, à savoir le pouvoir d’achat, la diversité de l’offre et la qualité des produits…
F.N.H. : Pour mettre en exergue le Made in Morocco à travers le développement de projets innovants, industriels ou de services à forte valeur ajoutée liés à l’industrie, plusieurs programmes ont été enclenchés ou sont en devenir, à l’image de Tatwir-startup, Intelaka, ou encore Forsa. Dans quelles mesures ces programmes peuvent-ils encourager les jeunes porteurs de projets à se lancer ?
Kh. K. : Le terme programme suppose une offre complète pour promouvoir l’entrepreneuriat. Or, ce dont on a assisté depuis longtemps, ce sont des offres essentiellement de crédit. Il s’agit donc des produits de crédit et non des programmes. L’argent est le nerf de la guerre et le financement des projets est indispensable, puisqu’il constitue un pilier primordial pour le développement d’une entreprise. Mais la réussite entrepreneuriale ne dépend pas que du financement et d’une fiscalité attractive. D’autres facteurs liés à la motivation de l’individu entrepreneur, à ses caractéristiques intrinsèques, à ses potentialités et au modèle d’accompagnement sont des facteurs oubliés de ces programmes. Une meilleure combinaison de ces facteurs peut structurer un réel programme d’aide à l’entrepreneuriat et d’accompagnement des porteurs de projets. Si ces éléments ne sont pas pris en compte, la présentation d’un business plan pour s’offrir un financement serait, à mon sens, anti-entrepreneurial.
F.N.H. : Au-delà du financement, comment peut-on inciter les entreprises marocaines à créer et à développer une industrie marocaine compétitive ?
Kh. K. : Aujourd’hui, les appels pour développer une industrie sont remis sur le devant de la scène. Bâtir une industrie compétitive est le gage de l’indépendance économique qui permettra au pays de mieux résister aux perturbations que pourrait engendrer la globalisation de l’économie. Mais avant d’inciter à la création d’entreprise et penser au développement de l’industrie marocaine compétitive, certains prérequis liés à l’attractivité demeurent. Un territoire attrayant aura de bonnes infrastructures, notamment technologique, numérique, industrielle et agricole, de transport, des terrains ou locaux disponibles, une main-d’œuvre formée, qualifiée et professionnelle, ainsi qu'une bonne culture d'échange entre acteurs, notamment entre le public et le privé. L’implantation industrielle dans les territoires devrait être facilitée par l’assouplissement de la fiscalité, le développement de nouvelles compétences et une bonne compétitivité en matière de coûts et de facilités administratives. Aussi, l’histoire du Maroc et sa culture devraient permettre un meilleur positionnement de notre pays. Par ailleurs, l’éducation représente une richesse pour le pays, dans la mesure où elle permet d’augmenter son attractivité et sa productivité grâce à la qualité et aux compétences de son capital humain. Développer une industrie marocaine compétitive est donc possible, mais le chemin est long et difficile. Cela va demander du temps et une vraie décision politique pour pousser l’Etat à agir.
F.N.H. : Quelles retombées économiques peut-on attendre du développement de l’entrepreneuriat made in Morocco ?
Kh. K. : Lorsqu’un entrepreneur crée du made in Morocco, il fabrique un produit 100% marocain ou presque, développe des partenariats avec des entreprises locales et embauche une main-d’œuvre locale. Une étude menée par le Conseil d’orientation pour l’emploi en France a estimé que si les Français achètent 10% des produits français parmi les biens consommés, 150.000 emplois nets pourraient être créés. A noter qu’un emploi direct créé en industrie peut générer 3 à 4 emplois indirects. Au Maroc, l’année 2020 a été marquée par la diminution des importations de 14%. Cette baisse est due essentiellement à l’allègement sensible de la facture énergétique et d’autres produits de grande consommation. De tels changements ont poussé le citoyen à consommer des produits locaux. En effet, ces évolutions ont induit un net allégement du déficit commercial, qui est passé de 17,9% à 14,6% du PIB, et une amélioration du taux de couverture de 4,3 points de pourcentage à 62,2%.
F.N.H. : Dans quelle mesure le made in Morocco peut-il concurrencer les produits étrangers qui, parfois, sont de meilleure qualité et beaucoup moins chers ?
Kh. K. : Cela dépendra de l’offre made in Morocco, mais surtout du patriotisme économique de chaque Marocain, c’est-à-dire notre capacité à privilégier des produits marocains en tant que consommateurs, et si nous sommes prêts à payer plus cher pour acheter marocain. Sur ce dernier point, aucune étude n’a été faite à ma connaissance.