Enquête Cannabis : Quand les partis politiques s’en mêlent

Enquête Cannabis : Quand les partis politiques s’en mêlent

pam hachLa légalisation du kif est actuellement sujette à débat. Les partis politiques, surtout ceux de l’opposition, s’y sont impliqués ces dernières années pour des considérations diverses.

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La légalisation du kif est actuellement sujette à débat. Les partis politiques, surtout ceux de l’opposition, s’y sont impliqués ces dernières années pour des considérations diverses.

Le kif est un sujet très complexe. Il ne peut être traité uniquement dans son volet agricole ou sécuritaire. Il s’agit de tout un système installé depuis des décennies, voire des siècles. C’est un héritage de l’époque coloniale que le Maroc ne peut résoudre sans la contribution de ses partenaires internationaux. Il faut beaucoup de temps, de volontarisme politique et de gros investissements pour trouver une solution durable. Il nécessite un large débat national impliquant tous les acteurs concernés, mais il ne faut pas qu’il soit un sujet de récupération poli­tique pour répondre aux besoins des échéances électorales», souligne Mohamed Amrani, professeur uni­versitaire.

2 propositions de loi déjà déposées

Le PAM et l’Istiqlal ont déposé cha­cun un projet de loi pour la léga­lisation du cannabis. L’objectif est d’ouvrir de nouvelles perspectives pour toute la région du Nord. La légalité permettra à des milliers d’exploitants de sortir de la clan­destinité. Il est question aussi de réussir les différents programmes de développement», souligne Noureddine Mediane, député d’Al Hoceima et président du groupe istiqlalien au Parlement. «Nous nous sommes inspirés de l’expérience de l’Uru­guay qui a donné des résultats concluants et qui a permis de bien encadrer les cultures et de les orienter vers des utilisations industrielles ou pharmaceu­tiques», indique-t-il. Kenza Ghali, sa collègue du même parti, députée de Fès et professeur universitaire, a mené plusieurs études et débats sur le sujet. «Il y a pas moins de 140.000 exploitants qui travaillent dans le kif. Si on y ajoute leurs familles, on dépasse largement un million de personnes qui souffrent de ce phénomène, sinon plus, car il faut prendre avec beaucoup de réserves les chiffres publiés par l’Etat. Il ne peut y avoir de développement sans une grâce totale des personnes recherchées, dont la plupart vivent dans des conditions précaires. La légalisation reste la voie la plus crédible et la plus pragmatique pour sauver cette population», soulinge-t-elle. Le PAM fait figure de pionnier parmi les formations politiques à avoir ouvert le débat. Et pour cause, plu­sieurs membres de son bureau politique sont natifs de la région du Nord. Des journées d’études et des ras­semblements ont été organisés dans plusieurs villes rifaines, notamment à Chefchaouen. Ils ont suscité un vif intérêt de la part des participants. «Il est temps de mettre un terme à la souffrance des agriculteurs. Plusieurs milliers d’entre eux font l’objet d’avis de recherche par les autorités», souligne Hakim Benchemass, président du groupe PAM à la Chambre des conseillers, et parlementaire de la région d’Al Hoceima. Les autres partis politiques, à commencer par le Parti de la Justice et du développement (PJD), ne se sont pas prononcés sur le sujet de façon officielle. Mais le parti au pouvoir n’y serait pas opposé.

«Soit on le partage, soit on le brûle»

«Il y a une unanimité chez les formations politiques pour bien étudier la possibilité de la légalisation, surtout que les plus hautes sphères de l’Etat penchent pour cette option. L’Istiqlal demande que la grâce touche uniquement les exploitants, alors que le PAM veut une amnistie plus large. Il est donc primordial de traiter le sujet avec le maximum de précautions pour qu’il ne dérape pas de son objec­tif», rapporte Chakib Khayari, un associatif qui milite en faveur d’une légalisation du cannabis, que nous avons rencontré à Nador. Son crédo : «le kif, soit on le partage, soit on le brûle». Il ne peut y avoir cette hypocrisie qui fait qu’on le tolère ou le prohibe selon les périodes. Soit il pro­fite à tous les Marocains en légalisant les applications médicales et indus­trielles du cannabis, soit on l’interdit en bonne et due forme. Chakib Khiyari penche évidemment pour la première option, plus facile à mettre en place et qui pourrait être une source de revenus non négligeable. Sachant que l’Etat marocain, à travers une régie ou un organisme dédié, agirait comme l’unique donneur d’ordre et acheteur pour les paysans, avec un prix garanti. Ce qui leur permettra de sortir des griffes des trafiquants.

Un large débat national s’impose

Un large débat et un consensus national s’imposent sur la question de la légalisation. Il serait sou­haitable d’inviter des experts, des penseurs, des sociologues, des hommes politiques et aussi des responsables de la société civile pour imaginer des solutions viables pour la filière cannabis au Maroc. Il est nécessaire aussi de lancer des études pour recueillir des données fiables. Car, même si la culture du cannabis est une activité souterraine, elle génère une économie qui crée de l’emploi, de la valeur ajoutée et des devises. Le Maroc gagnerait à s’inspirer des expériences étrangères de certains pays qui ont légalisé le cannabis, tels que la Suisse, la Hollande ou l’Autriche. Malgré les efforts pour lutter efficace­ment contre cette culture, le Maroc est toujours considéré comme le premier producteur et le premier exportateur mondial de cannabis. Rappelons au passage que la culture du kif était une activité légale, et sa consommation aussi, et cela jusqu’à la fin des années 30. Une bonne partie des fumeurs marocains à l’époque utilisait leurs «sebsis» au vu et au su de tout le monde. C’était aussi une façon de résister pour boycotter les cigarettes fabriquées par la Régies des tabacs, considérée, comme un produit qui fait l’éloge du colonisateur. C’est l’administration française qui a décidé de l’interdire sous prétexte que c’était une drogue. Et, depuis cette date, le cannabis est deve­nu un produit prohibé. Pour le plus grand bonheur des «barons».

Charaf Jaidani & Amine Elkadiri

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