Enquête Cannabis : Le calvaire des ‘‘recherchés’’

Enquête Cannabis : Le calvaire des ‘‘recherchés’’

cannabis6

cannabis6

La question des «recherchés» est un véritable phénomène de société dans le Nord du Maroc, qui a de profondes conséquences sociales. Dans l’indifférence totale, des dizaines de milliers de paysans vivent, en toute clandestinité, dans leur fief, chez eux. Un véritable drame social.

Les recherchés, ce sont ces paysans qui ont cultivé du cannabis, et qui ont fait l’objet d’une convoca­tion de la part des autorités pour répondre de ce délit. Le paysan préfère ne pas s’y rendre, de peur de finir en prison, et vit, dès lors, dans la clandestinité et la peur de se faire repérer.

Abdallah, un jeune homme de Moulay Abdeslam, connaît bien la question des recherchés. Il a lui-même, plusieurs amis qui sont concernés. «Ce qu’il faut comprendre, c’est que la plupart des jeunes qui cultivent ici le cannabis le font avec regret. Ils sont dégoûtés et mécontents de leur situation, explique-t-il. Ils vous diront tous : Donnez-moi juste 50 DH par jour, et j’arrête cette culture qui ne me crée que des soucis». Pour un recherché, le calvaire est quotidien. Tout acte pour lui devient compliqué : se rendre au village pour regarder un match de football dans un café devient problématique. Il entre la tête baissée, recouverte de la capuche de sa djellaba, le regard fuyant, la peur au ventre de se faire interpeller ou de voir le Khlifa franchir la porte du café. Tout cela parce qu’il a planté du kif comme des milliers d’autres personnes dans le Rif. Il ne dort jamais sur ses deux oreilles, et ne connaît pas la tranquillité de l’esprit. Pas question de voyager, encore moins d’aller en ville, à Tétouan ou Chefchaouen. Trop risqué.

Paranoïa

Les rapports avec le Makhzen tournent à la paranoïa pour la plu­part des paysans. Abdallah explique que «dès qu’une personne laboure sa terre pour planter du kif, le moqadem vient prendre acte. Il n’est, dès lors, ni convoqué ni recherché. Mais le simple fait que le moqadem l’ait signalé à la commune, suffit à le faire basculer dans la paranoïa. Il vit sous la menace de voir ce signa­lement du Moqadem prendre une tournure plus grave, celle de se retrouver devant un procureur.

Les cultivateurs de kif dans la région vivent la peur au ventre, le coeur serré, et passe leur temps à broyer du noir en tirant sur leur sebsi. Nous en avons croisé beaucoup dans les cafés de Moulay Abdeslam. La déprime chez ces personnes est palpable. «Je maudis cette vie», lâche plein d’amertume un ami d’Abdallah, assis à une table de café voisine de la nôtre. Une phrase lourde de sens, prononcée par un solide gaillard, dans la force de l’âge.

«Au début, ils ont voulu essayer la culture du cannabis pour gagner autant d’argent qu’un Ketami, mais ils se sont retrouvés pris au piège. Beaucoup de jeunes sont dépités de la vie, ne sachant plus quoi faire», poursuit notre inter­locuteur. En effet, difficile pour ces recherchés de faire marche arrière, alors qu’ils sont sous la menace d’une interpellation pouvant les mener à la prison. Même s’ils veulent changer d’activité, et cultiver autre chose que le kif, ils ne peuvent pas le faire tant qu’ils sont recherchés.

«Les gens sont coincés. Ils ont de l’argent, mais ne peuvent rien faire. Ils regrettent le jour où ils ont commencé à planter. Ils sont mariés pour la plupart d’entre eux, mais ne peuvent pas se déplacer. Ils autorisent alors leurs épouses à aller au souk pour s’approvisionner», ce qui constitue une humiliation pour un Béni Arous. «Si les autorités veulent vraiment aider ces gens et les sortir de leur dépendance vis-à-vis de la culture du kif, il faut d’abord les amnistier. Accorder l’amnistie passe avant le développement économique et social du Rif (Al 3afwo 9abla Tanmiya)», conclut Abdellah.

 

Charaf Jaidani & Amine Elkadiri

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux