Dans cet entretien, Ludovic Subran, chef économiste du groupe Euler Hermes Acmar, dresse un bilan positif de l’économie marocaine. Celle-ci reste toutefois sujette à un certain nombre de risques, pour la plupart, de nature externe. Par la même occasion, le directeur de la recherche économique chez Euler Hermes se livre à un exercice de prospective sur le modèle de croissance économique du Maroc de demain.
Finances News Hebdo : Où situerez-vous l’économie marocaine dans ce que vous appelez la «bordel-économie» qui caractérise le monde d’aujourd’hui ? Au regard de la situation géopolitique au Moyen-Orient et des conséquences de la crise économique et financière mondiale, quelle appréciation faites-vous de la résilience dont a fait preuve l’économie marocaine ?
Ludovic Subran : L’économie marocaine a fait preuve de résilience et a été notamment épargnée par le «carnage monétaire», (c’est-à-dire une forte dépréciation des devises, qui a frappé beaucoup de pays émergents. Cela est le fruit d’une politique monétaire saine, qui ancre le Dirham marocain sur l’Euro et le Dollar. En parallèle, la relative stabilité politique comparée à ses pairs, la volonté affichée par le gouvernement de contrôler son déficit public (notamment en réformant les subventions aux produits pétroliers) et le fait de commencer à mettre en place les réformes structurelles nécessaires au développement futur permettent au Maroc de faire figure de bon élève dans la région. Dès lors, les flux d’investissements directs à l’étranger ont continué d’affluer. Pour finir, la bonne santé du système financier, bien encadré par Bank Al-Maghrib, contribue à la stabilité du Maroc.
F.N.H. : Quels sont les risques qui, à votre avis, pèsent le plus sur l’économie marocaine ?
L. S. : A court/moyen-terme, les principaux risques pour le Maroc sont les suivants. Primo, un arrêt du rebond en zone Euro et principalement en France et en Espagne, qui représentent plus de 35% des exports marocains à eux deux et plus de 50% des remittances. Actuellement, les remittances ont une croissance proche de 7% l’an grâce au rebond en Espagne et en France, mais cela pourrait se retourner. Secundo, un accroissement du risque politique au Moyen-Orient et dans les pays voisins, ce qui pourrait, par exemple, nuire au tourisme.
Tertio, un rebond plus rapide que prévu des prix du pétrole qui générerait de nouvelles tensions sur l’inflation et sur le déficit public. Enfin, une récolte de céréales qui s’effondre (incident climatique).
F.N.H. : Le débat sur un modèle de croissance économique est ouvert. Comment imaginez-vous le modèle de croissance du Maroc de demain ?
L. S. : A long terme, la question reste comment produire davantage pour avoir moins de chômage, notamment chez les jeunes, et générer plus de pouvoir d’achat. En cause, la productivité qui croit trop peu (en dessous de 1% en moyenne sur les dix dernières années), et la dépendance au secteur agricole qui reste importante : en moyenne sur les six dernières années, la croissance de la valeur ajoutée non-agricole a été de seulement 3,6%.
Pour libérer cette croissance, plus de réformes doivent être mises en oeuvre, notamment pour favoriser l’acquisition de talents (accès à l’éducation tertiaire, à l’apprentissage et à la formation continue), la création d’emplois (abaisser les coûts à l’embauche et au licenciement, s’attaquer aux corporatismes) et l’innovation (dépenses en R&D), en plus des efforts très marqués et réussis dans l’infrastructure en dur ou l’industrie. Ainsi, le Maroc peut d’ores et déjà être considéré comme un hub de services…pas comme un hub d’innovation. A quand la Silicon Valley marocaine ?
En parallèle, même si le Maroc a déjà beaucoup investi pour améliorer sa compétitivité, il reste beaucoup à faire. Si l’on regarde le classement Doing Business de la Banque mondiale, les quatre principaux axes d’amélioration concernent le règlement de l'insolvabilité, les conditions d'obtention des prêts bancaires, la protection des actionnaires minoritaires et les formalités concernant le commerce transfrontalier. Prendre des mesures-phares sur ces freins ne nécessite pas de dépenses publiques, mais juste une volonté politique forte.
Propos recueillis par Wadie El Mouden