Economie Mondiale : Plus dure sera la chute

Economie Mondiale : Plus dure sera la chute

 

Les tensions politiques et les conflits commerciaux plongent l’économie mondiale dans l’incertitude.

Les observateurs avertis agitent le spectre d’une nouvelle crise mondiale, exacerbée par l’explosion des dettes souveraines.

L’économie marocaine est-elle actuellement suffisamment outillée pour absorber  les chocs externes ?

 

Par David William

 

L’économie mondiale est sur le fil du rasoir. Raison pour laquelle les conjoncturistes sont très prudents dans leurs prévisions. Il faut dire que les sources d’inquiétude sont nombreuses. Elles sont d’abord d’ordre purement politique, exacerbées, entre autres, par la guerre au Yémen, le conflit entre ce pays et l’Arabie Saoudite, mais également par les relations très tendues entre les Etats-Unis et l’Iran. 

Elles relèvent aussi de l’économique, dont la guerre commerciale actuelle reste un puissant marqueur, avec pour acteur principal les Etats-Unis. Le conflit commercial mené par le président Donald Trump contre la Chine inquiète d’autant les observateurs qu’il risque de se prolonger.

D’ailleurs, l’accord global souhaité par Washington risque d’être un voeu pieux. Car, selon Bloomberg, Pékin envisagerait de réduire considérablement l’éventail des sujets à aborder dans les négociations commerciales avec les Etats-Unis. Parallèlement à la guerre commerciale déclarée à la Chine, Trump a ouvert un front nouveau du côté de l’Europe, cette fois-ci. Le 2 octobre, il a été en effet décidé d'imposer des droits de douane sur les exportations européennes à hauteur de 7,5 milliards de dollars dès le 18 octobre.

En cela, les avions européens seront soumis à un droit de douane de 10%, tandis que diverses autres marchandises, allant du fromage aux produits alcoolisés, seront taxées à hauteur de 25%. Si cette mesure n’affectera que moins de 2% de la valeur des exportations totales de l'UE vers les Etats-Unis, elle annonce cependant les prémices d’une guerre transatlantique. 

A côté de ces conflits commerciaux, s’ajoute l’incertitude liée au Brexit, un no deal étant une option à ne pas écarter.

Pour toutes ces raisons, les perspectives de l’économie mondiale sont sombres. Dans son dernier rapport publié le 20 septembre, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2019 et 2020. Elle table sur 2,9% en 2019 et 3% en 2020, soit des replis respectifs de 0,3 et 0,4 point de PIB.

Selon l’OCDE, il s’agit de «taux de croissance annuelle les plus bas enregistrés depuis la crise financière, tandis que les risques à la baisse continueront de s'accentuer».

«Les conflits commerciaux constituent le principal facteur pesant sur la confiance, la croissance et la création d'emplois à l'échelle mondiale, et la persistance des restrictions commerciales et de l'incertitude politique pourraient avoir des effets négatifs supplémentaires», indique l’Organisation. Non sans ajouter que, «de plus, une forte incertitude prévaut toujours quant au calendrier et à la nature du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE), en particulier au regard de l'éventualité d'une sortie sans accord, qui pourrait faire basculer l'économie britannique dans la récession en 2020 et entraîner des perturbations sectorielles en Europe».

Moins optimiste, la Banque mondiale prévoit, pour sa part, une croissance économique mondiale moins soutenue que prévu en 2019, à 2,6%, avant de remonter légèrement en 2020, à 2,7%. 

De son côté, dans sa note de juillet dernier, le Fonds monétaire international estime que la croissance mondiale devrait atteindre 3,2% en 2019, puis accélérera à 3,5% en 2020, tout en soulignant que «les prévisions risquent d’être révisées à la baisse». Les mêmes raisons sont toujours avancées, dont notamment les tensions commerciales et technologiques et l’incertitude entourant certains accords commerciaux (Royaume-Uni/UE, zone de libre-échange qui englobe le Canada, les États-Unis et le Mexique). 

A tout cela s’ajoutent un ralentissement de la croissance des échanges internationaux et la chute de la confiance des milieux d’affaires. D’ailleurs, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a revu à la baisse, le 1er octobre, ses prévisions de croissance du commerce mondial de marchandises à 1,2% en 2019 contre 2,6% attendus jusqu’ici. Pour l’année 2020, ses prévisions sont légèrement abaissées à 2,7% contre 3% auparavant.

Le plus inquiétant reste cependant l’explosion des dettes souveraines. Elles sont évaluées à 63 mille milliards de dollars en 2018 contre environ 25 mille milliards de dollars lors de la crise de 2008. Dans son livre «La descente aux enfers de la finance», publié en mars 2019, Georges Ugeux, professeur de finance internationale à la Columbia University School of Law, estime que les Etats surendettés (notamment en Europe et aux États-Unis) pourraient ainsi constituer l’élément névralgique du prochain «tsunami financier»

De son côté, la Banque mondiale précise aussi que «la montée des dettes publiques suscite de plus en plus d'inquiétudes».

Selon elle, «dans beaucoup d'économies émergentes et en développement, les emprunts massifs contractés par les pouvoirs publics sont venus éroder la difficile amélioration des ratios d’endettement obtenue avant la crise financière mondiale. La dette publique de ces pays a grimpé en moyenne de 15 points de pourcentage en 2018, pour atteindre 5% du PIB».

Aujourd’hui donc, règne un «désordre mondial, avec la guerre des monnaies et des invités surprises dans la récession de pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne», résume à juste titre l’ancien Premier ministre du Bénin, Lionnel Zinsou, qui s’exprimait récemment lors de l’Université d’été de la CGEM. 

Tout cela pousse plusieurs économistes à agiter le spectre d’une crise mondiale majeure en 2020.

 

L’économie nationale face aux menaces exogènes…

L’économie marocaine, de par son ouverture sur l’extérieur, prête le flanc à de nombreux facteurs exogènes, comme notamment les cours du baril de pétrole, la demande étrangère adressée au Maroc, l’activité touristique, les flux de capitaux (dont les IDE) ou encore les transferts des MRE.

Des indicateurs majeurs que le gouvernement surveille de près, étant donné l’impact qu’ils peuvent avoir sur les données macroéconomiques. Et les premiers effets de cette conjoncture internationale délicate sont lisibles sur la dernière note du haut-commissariat au Plan, publiée mardi 8 octobre. Selon le HCP, la demande mondiale adressée au Maroc aurait ainsi décéléré au 3ème trimestre 2019, affichant un accroissement de 1,6%, au lieu de +4,9% un an auparavant. 

 

Evolution de la demande mondiale adressée au Maroc (source HCP)

 

Mais plus globalement, au regard de la situation qui prévaut actuellement à l’international, l’économie nationale est-elle suffisamment outillée pour absorber les chocs externes ? L’on se souvient que lors de la crise de 2008, pratiquement tous les observateurs, et en particulier le gouvernement de l’époque, s’accordaient à dire, avec une certaine fierté, que l’économie marocaine était résiliente.

C’est ce que nous rappelle d’ailleurs Yasser Tamsamani, économiste affilié à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et enseignant à la faculté de droit de Casablanca : «au moment où les principaux partenaires extérieurs du Maroc enregistraient des taux de croissance négatifs en 2008 et 2009, l’économie nationale s’est maintenue sur sa lancée des années 2000, avec des taux de croissance de PIB réel de 5% en moyenne. Ce qui a donné lieu à qualifier à tort, dans quasiment tous les rapports officiels et ceux des organismes internationaux, le système économique marocain de ‘résilient’».

Tamsamani a, à ce titre, une lecture bien différente de cet épisode de grande récession. Car, selon lui, «la raison d’un tel découplage était liée au fait qu’une bonne partie des exportations marocaines relève des produits plus ou moins incompressibles dans le budget des ménages des pays importateurs, ce qui les rend peu sensibles à la variation du revenu dans ces pays. Il était également dû aux barrières légales qu’impose le Maroc aux mouvements des capitaux spéculatifs et au fait que le ralentissement de l’économie mondiale a un effet indirect positif via la baisse des prix des énergies et du blé qu’il induit»

«Moralité, le cycle économique au Maroc était dans le passé relativement en déphasage avec celui de ses partenaires commerciaux», analyse-t-il. Non sans admettre cependant que «ce qui se passe à l’échelle internationale aujourd’hui semble être différent du point de vue de l’impact qu’il peut avoir sur l’économie nationale comparativement à l’épisode de 2008».

Pour notre économiste, en effet, «le retour en force des politiques protectionnistes, la dynamique de relocalisation à proximité des chaînes de valeurs, le Brexit, la thèse d’une éventuelle stagnation séculaire sont autant d’éléments/signaux qui devraient pousser à revoir le choix stratégique du Maroc d’un régime de croissance tournée vers l’extérieur».

 

… Et endogènes

Parallèlement à cela, l’économie nationale est à l’épreuve de certains facteurs endogènes, dont l’un des plus saillants reste sans aucun doute la pluie. Elle reste le déterminant principal d’une bonne ou mauvaise campagne agricole, et par ricochet de la croissance économique. C’est un facteur sur lequel le gouvernement n’a malheureusement aucune emprise, raison pour laquelle, justement, de nombreuses mesures ont été initiées pour développer le PIB non agricole.

La diversification de l’économie marocaine et le développement des nouveaux métiers mondiaux du Maroc, comme notamment l’automobile, l’aéronautique ou encore l’offshoring s’inscrivent dans cette veine. Sauf que la croissance du PIB non agricole n’arrive pas encore à compenser les déficits enregistrés lors des mauvaises campagnes agricoles. Le ministère de l’Agriculture estime ainsi la récolte céréalière de la campagne 2018/2019 à 52 millions de quintaux, ce qui, selon Bank Al-Maghrib, entraînerait un recul de la valeur ajoutée agricole de 4,7%, tandis que les activités non agricoles devraient connaître une progression de leur valeur ajoutée de 3,6% en 2019 contre 2,6% en 2018.

La croissance de l’économie nationale serait donc de 2,7% en 2019, après 3% un an auparavant, selon BAM. Elle se situerait en 2020 à «3,8%, avec une stabilité du rythme des activités non agricoles à 3,6% et un accroissement de la valeur ajoutée agricole de 6,3%, sous l’hypothèse d’une production céréalière de 80 millions de quintaux», poursuit la Banque centrale. Cette croissance cyclique, très dépendante des caprices de la météo, et son niveau relativement faible ne permettent pas de faire face aux besoins d’une économie qui traîne un chômage structurel, avec un taux qui tourne autour de 10%. 

Et à côté du facteur pluie, Tamsamani met en évidence d’autres éléments qui, selon lui, sont «les risques les plus inquiétants et les plus menaçants pour notre économie». Il s’agit du «partage déséquilibré de la valeur ajoutée et de la persistance des inégalités, de l’accumulation des richesses qui peine à se traduire par une accumulation du capital productif, de l’économie de rente et de connivence, etc.», martèle-t-il.

On perçoit, dès lors, l’urgence de la mise en place d’un nouveau modèle de développement, tel que préconisé par le Roi. 

 


Encadré: Dirigeants d’un autre genre

Depuis quelques années, émergent dans plusieurs démocraties des dirigeants atypiques, qui sont su surfer sur les frustrations sociales accumulées par les populations pour se hisser au pouvoir. Leurs fonds de commerce : un populisme outrancier et un nationalisme irrationnel qui frisent une certaine forme de xénophobie. On a ainsi, aux Etats-Unis, un Trump tantôt irréfléchi tantôt impulsif, dont les particularités tendent à bouleverser la géopolitique mondiale, et qui a «tweeterisé» la communication de la Maison Blanche.

Au Brésil, on retrouve son alter ego Jair Bolsonaro, encore appelé «Trump des tropiques», président controversé qui défie le monde sur la question de l’Amazonie. Au Royaume-Uni, on croise aussi un Boris Johnson qualifié d’idéologue dangereux, qui a prévenu cette semaine le président français, Emmanuel Macron, qu'il n'y aura pas de report du Brexit au-delà du 31 octobre, exhibant avec force le no deal. 

 

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