Le droit de grève a été inscrit dans toutes les Constitutions du Maroc depuis celle de 1962. Et pourtant, depuis lors, il n’existe aucune disposition légale définissant clairement les conditions et modalités d’exercice de ce droit fondamental. Sous l’impulsion de la Constitution de 2011, qui ouvre une nouvelle ère démocratique, la CGEM a proposé récemment une loi organique portant sur le droit de grève. Attitude qui a fait l’objet de critiques émanant d’une partie du monde syndical.
Avec les derniers développements de l’actualité nationale, force est d’admettre que le gouvernement accumule les dossiers chauds sur le front social (retraite, dialogue social interrompu avec les syndicats, etc.). Sous l’angle législatif, la dernière initiative majeure du patronat marocain consistant à déposer à la Chambre des conseillers une proposition de loi organique relative aux conditions et modalités d’exercice du droit de grève, ravive le sempiternel débat portant sur l’absence de dispositions légales définissant ce droit fondamental, qui plus est un moyen légitime de défense des intérêts matériels et moraux des citoyens. Cette initiative de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) tombe à point nommé, à quelques mois des prochaines élections législatives. De plus, cette offensive patronale, qui a coupé l’herbe sous le pied des syndicats, est à relier à l’article 86 la Constitution de 2011 qui stipule : «Les projets de lois organiques prévus par la présente Constitution doivent avoir été soumis pour approbation au Parlement dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature suivant la promulgation de ladite Constitution». Rappelons aussi que l’article 29 de la loi fondamentale indique dans son deuxième alinéa l’impératif de promulguer une loi organique fixant les conditions et modalités d’exercice du droit de grève. Interrogé sur le sens de la démarche du patronat marocain à travers cette proposition de loi organique, Abdelhamid Fatihi, secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT), n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. «L’initiative de la CGEM est certes en accord avec la loi fondamentale, mais elle demeure une proposition émanant du patronat. La véritable question à se poser est de savoir si ce texte rétablit l’équilibre entre le droit de grève et la liberté du travail, tout en protégeant les libertés syndicales et les équilibres sociaux», rétorque-t-il. A ce stade, il est judicieux de préciser que du côté de la CGEM, on allègue que ce texte, qui établit et protège les conditions et les modalités de l’exercice du droit de grève, se veut équilibré, et en parfaite adéquation avec les conventions internationales et les normes législatives en vigueur.
Du déjà vu ?
Si à longueur de colonnes, certains confrères se sont employés à démontrer que le projet de loi organique du patronat était une manière de mettre la pression sur le gouvernement, il en est tout autrement pour le patron de la FDT qui a confié : «La loi fondamentale s’impose à tout le monde, y compris le gouvernement, tenu de soumettre le projet de loi organique précité à l’approbation du Parlement dans les délais impartis». Celui-ci, a, par ailleurs, fait remarquer que le texte de la CGEM est fortement inspiré de celui proposé par l’ancien ministre du Travail, Jamal Rhmani. Au-delà de cette remarque, une partie du monde syndical reproche au patronat son attitude cavalière. D’ailleurs, dans l’optique de faire converger les points de vue, Abdelhamid Fatihi a concédé : «Il était plus judicieux que la CGEM se concerte avec les syndicats avant d’échafauder sa proposition de loi organique». Du reste, la véritable question à se poser à ce niveau est de savoir si cette concertation aurait servi à quelque chose, car, jusque-là, les syndicats n’ont pas encore réussi à forger un consensus autour d’une mouture afférente au droit de grève. Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’en dépit de l’opinion qu’on peut se faire du patronat, le mérite de la CGEM concernant le doit de grève a été son positionnement en tant que véritable force de proposition. Rappelons que le texte élaboré par les hommes de Miriem Bensalah-Chaqroun vise à clarifier les principes du droit de grève et la liberté du travail, tout en garantissant la sécurité des établissements et leurs biens. De plus, le projet de loi organique met l’accent sur le service minimum dans les secteurs vitaux. Dans le même temps, il accorde une place de choix aux droits et obligations des différentes parties prenantes. En définitive, espérons que l’initiative de la CGEM provoque un déclic chez le gouvernement et une forte émulation auprès des syndicats divisés sur le sujet pressant du droit de grève.
Consacré depuis la Constitution de 1962
Le droit de grève a été inscrit dans toutes les Constitutions marocaines, y compris dans la première, celle de 1962. Aussi paradoxal soit-il, depuis cette date, aucun texte juridique qui définit ce droit fondamental n’a vu le jour. Tous les gouvernements qui se sont succédé se sont abstenus de créer un cadre juridique clair régissant l’exercice et la protection du droit de grève et la liberté du travail. Il faut signaler que le Maroc n’a pas encore ratifié la convention 87 sur la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT), créée en 1919. L’autre fait qui interpelle une partie du monde syndical est que des lois organiques essentielles pour la consolidation de la démocratie n’ont pas encore été adoptées. A titre d’exemple, bien entendu, outre celle portant sur le droit de grève, il y a lieu de citer la loi organique relative à la parité et celle afférente au Conseil supérieur des langues.