A l’ère des nouvelles technologies, le système de santé national connaît un vrai changement.
Entretien avec la professeure Amal Bourquia, néphrologue, présidente de l’association REINS, auteur et experte en éthique médicale.
Propos recueillis par Ibtissam.Z
Finances News Hebdo : Vous organisez jeudi 25 avril, un séminaire intitulé «Les médecins marocains face aux défis et perspectives du numérique». Pourquoi avez-vous choisi cette thématique et quelle importance revêt-elle dans le champ médical national ?
Pr Amal Bourquia : L'invasion du numérique dans le domaine de la santé a profondément transformé la pratique de la médecine, avec de nombreux avantages, mais également des défis auxquels les médecins doivent faire face. Les médecins doivent être prêts à s'adapter, à se former et à établir des lignes directrices éthiques pour cette inévitable intégration du numérique dans la pratique médicale.
L’information, la sensibilisation et la formation des médecins est un préalable nécessaire pour la numérisation de la santé. Ce premier séminaire vise la sensibilisation et l’information de médecins aux enjeux de la santé numérique et l’encouragement à s'engager dans la transformation digitale, en adoptant les outils et les pratiques numériques. Il est essentiel d’intéresser les médecins au numérique et à ces technologies qui peuvent améliorer les soins aux patients, la pratique médicale et l'expérience professionnelle. Pour réussir les chantiers de la refonte du système de santé, les médecins représentent le point de départ de ce changement.
FNH : La refonte de la santé inclut la numérisation du secteur. Les praticiens seront confrontés à de multiples défis, notamment l’apprentissage, l’adaptation et l’aspect éthique. Comment peut-on réussir cette équation pour maintenir la relation intacte entre le médecin et le patient ?
Pr A.B : Le numérique en santé se développe, mais qu’en est-il des pratiques, de l’usage, de la connaissance et de l’adhésion des usagers à ces dispositifs numériques ?
La technologie et le numérique se mettent de plus en plus au service de la santé, mais malgré ces avancées, les médecins entendent toujours garder le contrôle et ne pas céder totalement aux solutions technologiques. Il est important de démontrer comment les technologies numériques peuvent améliorer la pratique médicale, les soins aux patients et l’expérience professionnelle pour susciter l'intérêt des médecins pour le numérique.
Toutefois, la transformation digitale dans la santé soulève également des questions éthiques, notamment en ce qui concerne la sécurité des données et la confidentialité des patients. La collecte et le partage d'informations sensibles nécessitent des protocoles de sécurité robustes pour éviter les risques liés aux violations de la vie privée. La réglementation et les normes doivent continuer d'évoluer pour garantir que les avantages des technologies numériques ne compromettent pas la confidentialité des données.
Les principes fondamentaux de l’éthique médicale qui sont à respecter lors d’une relation médecin / malade sont le respect de l’autonomie du patient, la bienfaisance, la non-malveillance et la justice. Il est aussi important de travailler sur le volet éthique de l’utilisation des services numériques et des solutions informatiques par les professionnels dans le parcours de santé. Un des premiers principes éthiques, c’est de garantir la confidentialité lors de l’élaboration et la gestion d’un dossier médical, le partage de documents, l'échange d'informations médicales, l'aide au diagnostic ou au suivi médical.
FNH : Améliorer les diagnostics médicaux par l'intelligence artificielle est désormais possible. Comment cette technologie novatrice peut-elle impacter positivement les soins de santé modernes et où en est le Maroc dans cette nouvelle démarche thérapeutique ?
Pr A.B : L'intelligence artificielle (IA) a apporté une transformation majeure dans le domaine des diagnostics médicaux. Les systèmes d'IA peuvent analyser des images médicales, telles que les radiographies et les scanners avec une précision impressionnante. Ils aident les médecins à détecter les anomalies et à poser des diagnostics plus rapidement et plus précis. En outre, l'IA peut analyser de vastes ensembles de données médicales pour identifier des tendances et des schémas, ce qui contribue à la recherche de nouvelles thérapies et à la prise de décisions éclairées au Maroc.
FNH : Une autre révolution concerne la télémédecine et le télésoin. Au Maroc, un vaste chantier de mise en œuvre de cette pratique a été lancé pour justement combattre les déserts médicaux et améliorer l’accès aux soins. Quel est votre constat en tant qu’experte ?
Pr A.B : La télémédecine, une composante clé de la transformation digitale, a élargi l'accès aux soins de santé de manière significative. Grâce à des technologies de communication telles que les appels vidéo et les applications mobiles, les patients peuvent consulter des médecins et des spécialistes sans avoir à se déplacer physiquement. Cette approche est particulièrement bénéfique pour les populations éloignées ou à mobilité réduite. Elle s'impose de plus en plus comme une alternative pour résoudre les problèmes de santé dans les zones enclavées, et pourrait offrir un accès aux soins à des patients pour lesquels cet accès est difficile. Les principes d’éthique médicale sur lesquels s’appuie la profession s’imposent également à la pratique de la télémédecine. Le cadre juridique est bien défini par la loi 09-08, la loi 131-13 et ses articles 99-1000-102, le décret n°2.18.378 (2018) et le décret n° 2.20.675 (2021). Cependant, son développement ne peut se faire sans une règlementation tarifaire et l’intégration de ses actes dans la nomenclature. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans l’intégration de la téléconsultation comme une composante importante de l’offre de soins, puisqu’elle peut répondre à de nombreuses problématiques liées à l’accès aux soins.