La Digital nation de notre pays doit s’appuyer sur des mesures fortes, immédiates.
Notre classement en matière de services en ligne reste en deçà des attentes des Marocains.
L’AUSIM est forte de son approche pédagogique et didactique de masse, lui permettant d’avoir une force de frappe considérable.
Enjeux de Morocco Tech, construction d’une «Digital nation», inclusion numérique, programmes phares de l’AUSIM..., tour d’horizon avec Mohamed Saâd, Directeur général adjoint en charge du pôle Ressources à la Bourse de Casablanca et président de l’AUSIM.
Propos recueillis par Y. Seddik
Finances News Hebdo : Lors du lancement de Morocco Tech vendredi dernier, vous avez déclaré que «La construction d'une nation numérique est un jeu infini». Qu'entendez-vous par cela ?
Mohamed Saâd : Il est important de définir d’abord ce concept de jeu fini et la différence qui existe avec le jeu infini. Un «Finite Game» ou jeu fini est défini comme suit :
• Les acteurs/joueurs sont connus.
• Les règles sont fixes.
• L’objectif est connu d’avance.
Les différents sports sont une illustration du «Finite Game». Un match de football qui se termine par la victoire de l’équipe A sur l’équipe B à la 90ème minute, ne peut se prolonger parce que l’équipe B a potentiellement le moyen de revenir au score. L’aire de jeu est délimitée et les joueurs sont annoncés et connus. Un «Infinite Game» ou jeu infini est défini comme suit :
• Les joueurs peuvent être connus ou inconnus.
• Les règles peuvent changer.
• L’objectif suprême est de perpétuer le jeu.
Essayons d’extrapoler cela sur le sujet qui nous interpelle tous, et qui a connu une célébration regroupant le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’Administration, l’AUSIM, l’APEBI, la CGEM, l’AMDIE et le Technopark. Cette cause dite Morocco Tech embrasse l’«Infinite Game» ou jeu infini, du fait des raisons ci-dessous :
• La cause est noble, et est l’objectif principal de tout Marocain.
• Morocco Tech est une cause inclusive et donc regroupe toutes les parties prenantes.
• Le jeu doit être perpétué car la transition numérique concerne tous les domaines, partout et tout le temps.
• Le leader mis en avant par le ministère a permis de regrouper tout l’écosystème autour de lui.
L’Infinite Game exige cinq piliers pour réussir : 1. Vous devez avoir une cause. 2. Vous devez avoir un leadership courageux. 3. Vous devez avoir une équipe confiante. 4. Vous devez avoir de dignes rivaux. 5. Vous devez avoir une flexibilité existentielle.
Du fait de la noblesse de la cause, personne ne cherche ni à gagner ni à perdre; la question n’est pas là, car il s’agit d’un défi lancé contre soi-même afin de répondre aux exigences de Morocco Tech, et d’être à la hauteur de la responsabilité dictée par l’activité de chaque institution.
F.N.H. : Selon vous, quels sont les prérequis pour aboutir à une inclusion numérique au Maroc ?
M. S. : L’inclusion numérique est un concept relativement nouveau qui tente de résoudre les problèmes liés à l’alphabétisation numérique et à l’accès aux TIC. L’inclusion numérique est définie comme «la capacité des individus et des groupes d’accéder aux technologies de l’information et des communications et de les utiliser». Rappelons que la littérature traite plus de la fracture numérique qui s’apparente à l’accès (ou l’absence d’accès) aux TIC, alors que l’inclusion numérique est censée être une approche pratique et axée sur les politiques qui répond aux besoins des individus et des communautés dans leur ensemble.
L’inclusion numérique est un concept plus large qui met en place un cadre afin que les communautés utilisent pleinement les ressources offertes par l’ère du numérique. Cela a non seulement des avantages socioéconomiques pratiques, mais peut également servir à enrichir la vie des individus et des communautés dans leur ensemble. L’inclusion numérique est basée sur trois piliers que nous appellerons les 3 A :
• L’Accès : Nous disposons au Maroc d’une infrastructure qui a été développée essentiellement durant les vingt dernières années, du fait de la libéralisation du secteur des télécoms, mais qui nécessite encore un bon coup d’accélération pour couvrir les zones grises (couvertes partiellement par les télécoms) et les zones blanches (non couvertes par les télécoms). Mais aussi pour booster l’accès au haut débit et, surtout, et c’est le point qui nous challenge le plus : que les opérateurs mutualisent leurs infrastructures, ce qui optimiserait les investissements et réduirait les coûts des télécoms.
• L’Adoption fait référence à l’alphabétisation numérique et à la sécurité des consommateurs lors de l’accès à Internet. Plusieurs actions aujourd’hui sont mises en place afin de sensibiliser les utilisateurs du digital et du net contre les risques cybercriminels. Nous citerons à titre d’exemple e-Himaya, la plateforme nationale d’information et de sensibilisation pour les enfants, jeunes, parents/tuteurs et enseignants sur la culture digitale et l’usage responsable d’Internet. Le site a été lancé à l’initiative de l’Agence de développement du Digital (ADD).
• L’Application est la mise en œuvre d’initiatives d’inclusion numérique dans les domaines de l’éducation, des soins de santé, de la sécurité publique et des initiatives de développement économique. Plusieurs initiatives ont été lancées récemment par plusieurs départements du gouvernement, mais notre classement en matière de services en ligne reste en deçà des attentes des Marocains, comme l’a noté la Cour des comptes dans son rapport sur l’évaluation des services en ligne*.
F.N.H. : L’AUSIM a toujours été pionnière dans la promotion de la technologie dans plusieurs secteurs. Quel rôle jouera l’Association dans Morocco Tech ?
M. S. : Comme vous le savez, l’AUSIM a toujours été précurseur dans plusieurs domaines liés aux technologies de l’information et au digital. L’AUSIM représente les organisations publiques, semi-publiques et privées et défend un digital éthique, bien gouverné et accessible aux grandes institutions comme aux petites. Il nous est arrivé de mener des campagnes de sensibilisation contre les risques derrière le Net au profit de citoyens illettrés en ce qui concerne le numérique, ce qui a permis un éveil des consciences et une utilisation plus mature du digital. L’AUSIM est forte de son approche pédagogique et didactique de masse, lui permettant d’avoir une force de frappe considérable. Grâce à nos partenaires, au Maroc et à l’international, nous avons la possibilité de faire profiter la communauté du savoir-faire, de l’expertise et des bonnes pratiques que nous avons expérimentées depuis toujours. Nous nous permettons de donner ci-dessous un aperçu des programmes phares de l’AUSIM :
• Rendez-vous de l’AUSIM : ce sont des évènements à fréquence régulière qui traitent de sujets d’actualité en matière de digital et de technologies de l’information dans différents secteurs.
• Assises de l’AUSIM : un des plus grands rassemblements en Afrique du secteur du digital et de l’IT. Nous rappelons qu’en 2018, il a rassemblé à Marrakech plus de 800 personnes.
• AUSAcademy : un programme qui permet l’Upskilling des compétences en matière de digital et de l’IT.
• AUSAiducation : un programme qui permet de financer et de coacher des bacheliers venant de zones défavorisées, mais présentant un haut potentiel de réussite.
• AUSInnov : un programme décliné sous forme de compétition inter-Universités autour de l’innovation en IT.
• AUSMose : un programme permettant de fédérer un groupe d’institutions autour d’une problématique donnée (cyber sécurité, startups, performance IT, RH…).
• AUSIMAG : le Magazine numéro 1 au Maroc qui traite du digital et de l’IT, édité par l’AUSIM.
• AUSI’TALKS : une émission WebTV de l’AUSIM permettant d’inviter des personnalités, expertes en leurs domaines, pour éclairer l’assistance autour de sujets dont le digital et l’IT sont une composante primordiale.
• AUSIBooks : un environnement de lecture d’ouvrages inspirants permettant de développer la culture dans différents domaines.
En plus de tout cela, l’AUSIM tire sa richesse aussi de ses membres. L’AUSIM est présidée depuis 6 ans par la Bourse de Casablanca, et cette dernière se trouve être le meilleur moyen pour lever des capitaux sur le marché. L’introduction en Bourse présente un intérêt important pour les entreprises technologiques en croissance. Cependant, une PME n’a pas nécessairement les mêmes besoins et surtout les mêmes ressources qu’une grande entreprise. Pour cette raison, la Bourse de Casablanca a multiplié récemment les initiatives envers les PME, consciente que son marché leur est parfaitement accessible et adapté, et est souvent la meilleure solution de financement pour les accompagner dans leur évolution. Ainsi, la Bourse de Casablanca a procédé :
• A la mise en place d’un compartiment dédié aux PME, appelé marché alternatif, et qui se distingue par des conditions d’accès allégées. Notamment, une seule année d’exercice est nécessaire, et un financement peut être levé à partir de 5 millions de dirhams.
• Au lancement, le mois dernier, d’une offre de marché PME conjointement avec l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), Maroclear et l’Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB), pour faciliter l’accès au marché alternatif. Cette offre permet une réduction des coûts et un processus guichet unique accéléré.
• Au renforcement de ses équipes chargées du conseil et de l’accompagnement des PME, et au design d’une formation adaptée aux entreprises du secteur technologique.
• A la création de l’Association marocaine des entreprises faisant appel public à l'épargne (APE) avec la CGEM et l’appui de l’AMMC.
L’APE est d’ailleurs présidée par M. Mohamed Horani, Président-Directeur général de HPS, société technologique cotée à la Bourse de Casablanca. Cette association souhaite notamment encourager un partage d’expériences fructueux entre les sociétés introduites en Bourse et celles qui l’envisagent. Il n’y a rien de mieux pour démystifier le parcours de la cotation en bourse ! Rappelons que la Bourse de Casablanca contient bon nombre de PME, et qu’elle a connu des IPO pour des montants de 15 et de 20 millions de dirhams, signe que cette catégorie d’entreprises est la bienvenue ! Donc si vous êtes une PME, sachez que la Bourse vous est parfaitement accessible et peut avantageusement vous financer en vous donnant accès à un marché diversifié et profond d’investisseurs de tous horizons.
La dernière entreprise à accéder au marché (TGCC) a été récompensée par la participation de près de 12.000 épargnants. L’activation de la Bourse permet également un cycle de financement beaucoup plus rapide et, par conséquent, un écosystème de Private equity, venture capital, Family office, et autres programmes de financement de la start-up, nettement plus dynamique, car il pourra recycler ses positions beaucoup plus rapidement. En somme, une Bourse dynamique permet de stimuler toute la chaîne de financement, comme l’a bien détaillé le rapport du nouveau modèle de développement : «Le développement de la Bourse de Casablanca sera crucial pour le développement de ces marchés car elle représente un débouché naturel aux différentes activités d’investissement, notamment en Private equity, et permet d’offrir un meilleur pricing des actifs ainsi qu'un accès à une base d'investisseurs plus large et des produits diversifiés ajustés aux différents niveaux de risque». La Bourse de Casablanca est, ainsi, naturellement mobilisée pour soutenir cette nouvelle ambition digitale marocaine qu’est Morroco Tech et pour financer les entreprises technologiques qui la porteront. Elle est par excellence un partenaire privilégié du ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’Administration, du ministère de l’Investissement, de la Convergence et de l’Evaluation des politiques publiques, et de l’écosystème marocain du numérique, en contribuant effectivement à la mise en place des facteurs de succès de ce chantier stratégique pour notre pays.
F.N.H. : Enfin, quels sont les leviers à actionner et les freins à lever pour faire du Royaume une véritable Digital nation ?
M. S. : La Digital nation de notre pays doit s’appuyer sur des mesures fortes, immédiates, présentées sous forme d’axes stratégiques : 1. Accélérer le GovTech. 2. Appuyer la transformation digitale des entreprises publiques et privées. 3. Accélérer l’émergence d’un écosystème start-up fort. 4. Soutenir et protéger l’innovation pour assurer notre souveraineté. 5. Inculquer une Digital Minded Society. 6. Créer une nouvelle relation au travail. 7. Construire une Société digitale inclusive. 8. Accélérer la confiance numérique. L’un des facteurs clés de succès est le fait d’avoir un département au sein du Gouvernement dédié à ce chantier et rattaché au chef du gouvernement. L’osmose à créer entre tous les départements du fait de la transversalité de la problématique de la transition digitale inculquera un mindset du «Digital First», ce qui répondra aux appels royaux pour faire des technologies de l’information un levier de croissance, de développement mais aussi de transparence et de lutte contre la corruption. Il est important de noter que ce mouvement Morocco Tech doit être doté dès ses premiers jours d’une gouvernance publique-privée, afin de répondre aux meilleures pratiques de management de ce genre de programme, en mettant en place un plan d’actions, un échéancier, et s’il le faut un contrat programme, afin de fédérer toutes les parties prenantes autour d’objectifs mesurables. Morocco Tech étant un «Infinite Game», le gagnant doit être le Maroc.
*http://www.courdescomptes.ma/fr/Page-27/publications/rapport-thematique/ rapport-de-la-cour-des-comptes-sur--l-evaluation-des-services-en-ligne/2-240