Abdelilah Benkirane s’est engagé à décompenser progressivement le sucre, dès l’année 2016, à raison de 10 à 15 centimes par kilo, chaque mois. La méforme du marché mondial du sucre, caractérisé par des prix bas, constitue une fenêtre d’opportunité idéale pour se lancer sans trop de dégâts dans la décompensation de ce produit. Les mouvements consuméristes craignent que cette décision ne se répercute défavorablement sur le pouvoir d’achat des ménages, notamment les plus démunis. Ils appellent à ne pas libéraliser le pain de sucre.
La décision est prise et semble inéluctable. Le sucre sera bien décompensé, dès 2016. C’est le Chef de gouvernement en personne, Abdelilah Benkirane, qui en a fait l’annonce sur la chaîne Medi1TV : la compensation du sucre s'arrêtera définitivement en 2016, et ce de manière progressive. «Chaque mois, 10 à 15 centimes de compensation par kilo de sucre seront supprimés, durant une période totale de 18 mois», précise Benkirane. Une économie de 2 Mds de dirhams serait ainsi réalisée, selon le Chef de gouvernement, dont la moitié ira au secteur de la santé pour l'équipement des hôpitaux des zones les plus reculées, tandis que l'autre moitié viendra alimenter le Fonds de solidarité sociale pour venir en aide aux veuves et aux personnes à besoins spécifiques.
Aujourd’hui, le prix du sucre est étroitement contrôlé. Il faut savoir que la régulation du prix du sucre s’effectue à deux niveaux de sa chaîne de valeur : une subvention de 2,80 DH/Kg est systématiquement accordée sur les quantités mises à la consommation de sucre raffiné; une subvention additionnelle est déployée, le cas échéant, en cas de fluctuations des cours internationaux.
C’est le bon moment
Ces fluctuations font que la charge de compensation du sucre est en repli. Elle est passée de 5 milliards de DH, en 2011 et 2012, à 3,2 milliards de DH en 2014. Ce repli s’explique par la diminution de la subvention à l’importation liée à la baisse du cours du sucre sur le marché international. En effet, la subvention à l’importation est passée de 2,4 milliards de DH, en 2011, à une restitution de l’ordre de 200 millions de DH en 2014. Et pour cause : durant cette période, les cours du sucre ont considérablement baissé, passant de 660 dollars à moins de 355 dollars la tonne. Aujourd’hui, le cours du sucre se négocie sur le marché londonien autour de 400 dollars la tonne, et les cours ne devraient pas connaître de remontée significative sur le moyen terme du fait de la suroffre de production, notamment brésilienne. Lors de la conférence internationale sur le sucre, qui s’est déroulée à Marrakech en septembre dernier, le directeur exécutif de l’Organisation internationale du sucre (OIS) déclarait à ce propos : «Les prix ne devraient repartir à la hausse qu’à partir du deuxième semestre 2016». C’est donc pour le gouvernement, le moment idéal pour décompenser, sachant que le Maroc importe plus de la moitié du sucre qu’il consomme. Le parallèle avec la décompensation du carburant, qui a coïncidé avec la baisse durable des cours du pétrole, est évident. Une baisse des cours des produits décompensés aide à faire passer la pilule plus facilement.
Le projet de Loi de Finances 2016 (PLF 2016), en cours de discussion au Parlement, ne contient pas de dispositions relatives à la décompensation du sucre. Et pour cause, la décompensation doit se faire par voie réglementaire et non par une loi, comme l’a rappelé Mohamed Boussaid, ministre de l’Economie et des Finances, lors de la conférence de presse de présentation du PLF 2016 (www.financesnews.press.ma). Le ministre des Finances suggère l’ouverture d’un débat au Parlement sur la décompensation du sucre. Ce débat se fera certainement sur la base de l’annonce faite par A. Benkirane. En attendant, la charge de compensation relative à l’exercice budgétaire de l’année 2016 figure toujours dans les comptes de l’Etat. Le Budget 2016 prévoit une dotation totale de 15,55 milliards de dirhams au titre de la compensation, sans apporter plus de détails sur la répartition de cette charge entre les différents produits compensés. Pour 2015, la charge de compensation du sucre devrait atteindre 3,5 milliards de dirhams.
Si la décompensation est une bonne nouvelle pour les comptes publics et devrait permettre de réaliser de substantielles économies, qu’en est-il du consommateur marocain ? Ce dernier y trouvera-t-il son compte ?
Pas touche au pain de sucre
Pour le savoir, nous avons contacté Ouadie Madih, Secrétaire général de la Fédération nationale des associations des consommateurs au Maroc (FNAC). En tant que représentant du mouvement consumériste national, il ne voit pas d’un bon oeil les mesures annoncées par le Chef de gouvernement. «Une augmentation des prix n’a jamais fait le bonheur du consommateur», affirme-t-il. «Le sucre est l’un des produits de première nécessité du consommateur, et plus particulièrement des populations les plus pauvres, qui en consomment beaucoup. Ce n’est pas à elles de payer la facture», précise-t-il. A ses yeux, il y a d’autres filières (industrie alimentaire, pâtisseries, boissons, etc.) qui profitent de cette situation et qui s’enrichissent en utilisant un produit subventionné dans leur processus de création de valeur ajoutée.
Partant de cette analyse, la FNAC a déjà proposé au ministère des Affaires générales de ne pas toucher au pain de sucre , qui représente près de 30% de la consommation nationale de sucre blanc, et qui n’est surtout pas utilisé par les industriels. «Il faut laisser le pain de sucre en sous la protection de la subvention, et libéraliser le reste», préconise O. Madih.
Par ailleurs, notre interlocuteur est conscient des problèmes de santé publique qu’occasionne la consommation de sucre. «Il faut accompagner et sensibiliser les consommateurs, avec des actions de terrain pour inciter les gens à diminuer leur consommation de sucre», conclut-il.
Amine Elkadiri