Croissance : «Notre économie vit une transformation profonde»

Croissance : «Notre économie vit une transformation profonde»

L’économie marocaine semble peu à peu se libérer de la tutelle de la pluviométrie. Pour le professeur Driss Effina, cette mutation n’est ni passagère ni fortuite : l’industrie, les services et le tourisme prennent désormais le relais d’une agriculture fragilisée par la sécheresse. Une recomposition structurelle qui redéfinit les ressorts de la croissance nationale.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo : La croissance a été au rendez-vous au Maroc ces dernières années malgré la sécheresse. Est-ce à dire que l’économie est moins dépendante de la pluviométrie ?

Driss Effina : Durant les vingt-cinq dernières années, la croissance économique du Maroc s’est distinguée par son instabilité. D’une année à l’autre, elle oscillait fortement : une embellie pouvait être suivie d’un net ralentissement. En cause, toujours, la dépendance à la pluviométrie. Autrement dit, la performance économique du pays suivait les caprices du ciel. Cette corrélation étroite avec l’agriculture rendait la croissance nationale vulnérable et limitait le développement du monde rural. Or, depuis quatre ans environ, un changement structurel semble s’opérer. La croissance marocaine paraît de moins en moins tributaire des aléas climatiques. Même en période de sécheresse prolongée, l’activité continue de progresser. Ce phénomène s’explique par la montée en puissance de deux secteurs devenus moteurs : le secondaire et le tertiaire. Industrie, services, tourisme, banques, commerce… autant d’activités désormais dynamiques, rentables et, surtout, insensibles aux sécheresses récurrentes. Le tourisme, par exemple, a connu une forte croissance ces dernières années. L’industrie, quant à elle, s’est imposée avec des filières performantes comme l’automobile ou l’aéronautique. Ce redéploiement industriel a largement contribué à compenser les contre-performances agricoles et à stabiliser la croissance globale du pays.

 

 

F. N. H. : Pensez-vous que cette tendance va se poursuivre ou est-elle juste conjoncturelle ?

D. E. : Cette mutation semble loin d’être conjoncturelle. Le Maroc entre dans une phase où la rareté des pluies devient une donnée structurelle. Les acteurs économiques en sont conscients : la durabilité passe par la diversification. Les grands investisseurs agricoles eux-mêmes savent désormais que les projets viables reposent sur des systèmes d’irrigation sécurisés. C’est pourquoi le ministère de l’Agriculture déploie de vastes programmes dans les régions comme Souss-Massa, adossés à des stations de dessalement. Bientôt, une autre station à Sidi Rahal permettra d’irriguer quelque 100.000 hectares. Ce modèle d’agriculture résiliente s’étendra progressivement à d’autres zones, à l’image de ce qu’a réalisé l’Australie dans des conditions climatiques similaires. À ces efforts agricoles s’ajoute la montée du secteur minier, incarné notamment par l’OCP et d’autres entreprises d’extraction et de transformation, qui apportent une forte valeur ajoutée à l’économie nationale.

 

F. N. H. : Le taux de chômage au niveau national est toujours à un niveau élevé. Quelle analyse en faites-vous ?

D. E. : La contrepartie de cette transformation, c’est un chômage qui reste élevé. Mais ce phénomène, loin d’être alarmant, s’observe dans tous les pays ayant connu une mutation économique profonde. Au Maroc, le HCP mesure le chômage par enquête et non par inscription administrative comme dans les pays développés, ce qui gonfle mécaniquement les chiffres sans toujours traduire une réalité économique. La migration interne joue également un rôle. Les flux ruraux-urbains gonflent les taux de chômage à Casablanca ou Tanger. Nombre de ces migrants, souvent peu qualifiés, arrivent sur des marchés du travail déjà saturés. Pourtant, ces villes créent continuellement des emplois. Si elles n’étaient pas confrontées à ces arrivées massives, leur taux de chômage serait proche de zéro. L’analyse détaillée montre d’ailleurs que la plupart des chômeurs urbains sont de récents arrivants, encore en phase d’intégration.

 

F. N. H. : Malgré un taux de chômage élevé, il y a des secteurs qui ont des difficultés à recruter des employés…

D. E. : Face à cette situation, la solution passe par la formation professionnelle, notamment de courte durée. Les autorités doivent implanter des centres dans les zones périurbaines et rurales proches des grandes villes, afin de préparer les futurs travailleurs aux métiers où la demande est forte, en particulier le BTP. Ce secteur connaîtra une croissance spectaculaire dans les années à venir, portée par les grands chantiers d’infrastructures liés à la CAN 2025 et à la Coupe du Monde 2030. L’année 2028 devrait en marquer le pic. Ne pas anticiper ces besoins serait rater une occasion historique. Plutôt que de multiplier les crédits aux jeunes sans expérience, il faut privilégier la formation et le soutien aux entreprises déjà existantes, capables d’embaucher et de transmettre un savoir-faire. Les programmes de financement direct aux jeunes entrepreneurs ont d’ailleurs montré leurs limites : la plupart échouent faute d’expérience.

 

F. N. H. : Qu'est-ce qui leur manque ?

D. E. : L’entrepreneuriat ne s’improvise pas. Dans toutes les économies du monde, seuls 5% de la population deviennent de véritables entrepreneurs. Les autres réussissent en tant que salariés. Pour entreprendre, il faut des compétences, une expérience solide et un apprentissage au sein d’entreprises aguerries. Un exemple frappant : un jeune bénéficiaire d’un crédit de 9 millions de dirhams pour créer une imprimerie à Agadir a échoué en quelques mois. Il n’avait jamais travaillé dans le secteur. L’échec n’était donc pas financier, mais humain : il manquait d’expérience et de savoir-faire. La leçon est claire: la réussite économique passe moins par l’argent que par la formation, la compétence et la préparation. C’est cette approche que le Maroc devra privilégier s’il veut transformer durablement sa croissance et en faire une dynamique réellement inclusive. 

 

 

 

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