Croissance 2016 : Le CMC et le HCP font bande à part

Croissance 2016 : Le CMC et le HCP font bande à part

LahlimiLe CMC et le HCP tablent sur des taux de croissance respectifs de 2,8% et 2,6% en 2016. Ils font moins bien que la Banque mondiale et le FMI, qui sont dans une fourchette de 4,8 à 5%.

Des facteurs exogènes et endogènes auxquels l’économie marocaine prête le flanc, la pluviométrie est sans aucun doute l’élément le plus déterminant, et qui influence le plus le taux de croissance. D’où la diffi­culté d’établir des prévisions. Analyse.

Le débat sur le taux de croissance prévi­sionnel refait surface. Comme toujours. A l’optimisme béat du gouver­nement marocain, s’opposent souvent les réserves d’ins­titutions comme le Centre marocain de conjoncture, le Haut-commissariat au plan, Bank Al-Maghrib, ou encore le Fonds monétaire interna­tional et la Banque mondiale. Pour l’exercice en cours pour­tant, chose rare pour être soulignée, les prévisions éta­blies par l’ensemble de ces institutions sont pratiquement toutes en ligne : la moyenne dégagée devrait aboutir à une croissance 2015 de l’éco­nomie marocaine autour de 4,8%, à la faveur, entre autres, d’une excellente cam­pagne agricole, avec une production céréalière record estimée à 110 millions de quintaux.

Ça se gâte en 2016 ?

Pour l’exercice 2016, les ins­titutions financières interna­tionales ont d’ores et déjà livré leurs pronostics. Le FMI table sur un PIB mondial de 3,8%, avec une amélioration de la croissance à 4,7% dans les économies émergentes et en développement, et une stabilisation à 2,4% dans les pays avancés. Au Maroc, le raffermissement de l’écono­mie nationale devrait se pour­suivre, avec une croissance qui pourrait s’accélérer pour atteindre un rythme de 5 à 5,5% à moyen terme, si la mise en oeuvre des réformes structurelles se poursuit, estime le FMI. Ainsi, la crois­sance, qui s’établirait à 5% en 2016, va «rester robuste, à moyen terme, à mesure que

la demande extérieure et la confiance intérieure se redresseront».

Pour sa part, la Banque mon­diale s’inscrit dans la même veine. Si le taux de croissance dans la région Moyen-Orient et en Afrique du Nord devrait rester inchangé à 2,2 % en 2015, il rebondirait néanmoins durant la période 2016-2017 pour atteindre 3,7%. Et ce, grâce à l’accroissement de la demande extérieure et au renforcement de la confiance qui stimule l’investissement dans certains pays importa­teurs de pétrole, estime la BM. Dans ce contexte, le Maroc devrait réaliser une croissance de 4,8% en 2016 et 5% en 2017.

Mais au niveau du Centre marocain de conjoncture, c’est un tout autre son de cloche. Ses dernières prévi­sions économiques, publiées la semaine dernière et large­ment relayées par la presse (www.financenews.press.ma), tranchent radicalement avec celles des institutions internationales. «Succédant à l’un des exercices les plus performants au cours des dernières années, l’année à venir annonce, en effet, un important reflux d’activi­té, avec une forte baisse du rythme de croissance com­parativement aux résultats attendus au terme de l’année en cours. Cette perspective résulte principalement de l’in­cidence, encore pesante, du facteur climatique mais aussi des orientations contrastées de l’environnement écono­mique tant au plan interne qu’externe», souligne la note publiée à cet effet. Le taux de croissance projeté dans le scénario prévisionnel de 2016 ne pourrait dépasser dans ces conditions 2,8 % en termes réels, estime le CMC. Scénario trop pessi­miste ? C’est en tout cas l’avis de Jawad Kerdoudi, président de l’Institut maro­cain des relations internatio­nales. «Je pense en effet que les prévisions de croissance de 2,8% du CMC pour 2016 sont trop pessimistes. D’une part, personne ne peut pré­voir aujourd’hui l’importance de la prochaine campagne agricole marocaine. D’autre part, je ne pense pas que la demande extérieure adres­sée au Maroc en 2016 sera inférieure à celle de 2015», souligne-t-il. Relevant que les taux de croissance prévus par le FMI (de 3,8% pour l’éco­nomie mondiale et 1,5% pour la zone euro) laissent plu­tôt présager que la demande externe adressée au Maroc sera la même en 2016 ou en légère augmentation. A ce niveau, même le scénario d’une sortie de la Grèce de la zone euro ne semble pas inquiéter Kerdoudi. «Le PIB de la Grèce est très petit par rap­port au PIB de la zone euro. D’autre part, il n’est pas sûr que la Grèce sorte de la zone euro, car je pense que les négociations entre la Grèce et ses créanciers continueront même après le référendum du 5 juillet 2015. L’impact de la sortie de la Grèce de la zone euro n’aura qu’un faible effet sur la demande adressée au Maroc, d’autant plus que les relations économiques entre le Maroc et la Grèce sont très limitées», fait-il remarquer.

Sur un autre registre, «rien ne laisse prévoir, pour le moment, une forte hausse du prix du pétrole, étant donné que l’offre est supérieure à la demande, et qu’il n’est pas prévu une croissance éle­vée de l’économie mondiale tant en 2015 qu'en 2016. Ce point de vue est sous réserve d’un événement grave qui empêcherait la production ou le transport du pétrole», relève Kerdoudi, pour qui tous les éléments cités plus haut militent pour une croissance de l’économie nationale en 2016 «supérieure à 2,8%». D’ailleurs, conclut-il, «mon point de vue est corroboré par le FMI, qui prévoit une croissance de 5% de l’écono­mie marocaine en 2016, et la Banque mondiale qui prévoit 4,8%».

Pourtant, alors qu’on croyait les prévisions du CMC trop sévères, le HCP, qui a dévoilé ses prévisions mardi après-midi, a enfoncé le clou : un petit 2,6% de croissance éco­nomique en 2016, tirée par la demande intérieure. Avec, comme hypothèses, l’évolu­tion des prix des matières premières, la demande mon­diale adressée au Maroc, la reconduction de la poli­tique budgétaire en vigueur en 2015 et une production céréalière moyenne durant la campagne 2015/2016. Bref, de quoi refroidir toutes les ardeurs !

Croissance, un sujet sensible

Avec 2,8 et 2,6% respecti­vement, le CMC et le HCP semblent faire bande à part, se «liguant» contre l’opti­misme des institutions finan­cières internationales (FMI et BM). Et ça, ce ne doit pas être forcément du goût du gouvernement marocain, très pointilleux sur les prévisions de croissance économique. Début 2014, une vive polé­mique avait d’ailleurs éclaté à ce sujet, à la faveur d’une sortie au vitriol du ministre des Affaires générales et de la Gouvernance, Mohamed El Ouafa, contre le haut-com­missaire au Plan, Ahmed Lahlimi. Invité dans une radio de la place, il avait alors qua­lifié de «faux» les chiffres du HCP, allant jusqu’à remettre en cause la légitimité des statistiques produites par cet établissement qui, selon lui, «s’attaque à l’image du pays». Simplement parce que loin des considérations poli­tiques, les prévisions du HCP en termes de déficit budgé­taire et de croissance sont souvent en décalage par rap­port à celles du ministère des Finances. Ce qui agace pas­sablement le gouvernement. Au point de pousser El Ouafa à laisser entendre que seules les prévisions du gouverne­ment, par la voix du minis­tère de l’Economie et des Finances, feraient foi dans ce pays. Pourtant, il semble diffi­cile de décrédibiliser le HCP, une structure qui se conforme dans ses statistiques et ses études aux normes internatio­nales, et est admise, depuis 2005, à la Norme spéciale de la diffusion des données du Fonds monétaire inter­national. Une institution qui, surtout, jouit d’une «indé­pendance institutionnelle et intellectuelle dans l’établisse­ment de ses programmes et la conduite de ses travaux d’enquêtes et d’études». D’ailleurs, en février 2014, le Roi Mohammed VI, qui avait reçu Ahmed Lahlimi dans le cadre des préparatifs du recensement de la population, avait réaffirmé la nécessité de préserver l'autonomie du haut-commissariat au Plan en tant qu'institution officielle de l'information statistique, économique, sociale et cultu­relle. Le Souverain avait éga­lement insisté sur la nécessité d'une coopération efficiente et d'une coordination étroite entre l'ensemble des insti­tutions gouvernementales et instances nationales concer­nées par les données sta­tistiques, et ce à l'effet de garantir la précision et l'ob­jectivité dans ce domaine et renforcer l'image et la crédi­bilité du Maroc auprès de ses partenaires et des différentes institutions internationales.

Reconnaissons qu’il y a quand même une constante dans ce pays : il est d’autant plus difficile d’établir des pronos­tics que la croissance éco­nomique dépend de facteurs exogènes et endogènes, dont le plus important, mais égale­ment le plus aléatoire, reste la pluviométrie. Et l’histoire économique du Maroc a mon­tré qu’avec une bonne cam­pagne agricole (comme c’est le cas pour cette année), la croissance est tout le temps au rendez-vous, caressant la barre des 5%. Et tant qu’il y aura cet impondérable (plu­viométrie) et que le PIB non agricole ne se développera pas suffisamment, les écarts de prévision demeureront. Et les débats continueront.

David Wiliam

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