Si elles diffèrent d’une institution à l’autre, les prévisions de croissance pour 2016 sont loin d’être flatteuses. Le petit 1,3% sur lequel table le haut-commissariat au Plan fait forcément grincer des dents du côté du gouvernement. Lequel répond par un silence assourdissant, lui qui est prompt à flinguer l’institution dirigée par Ahmed Lahlimi à chaque fois qu’elle rend publiques ses prévisions économiques.
Quelle croissance pour l’exercice 2016 ? Bien malin celui qui saura le dire. En tout cas, entre les prévisions faites au niveau national et celles établies par les institutions internationales, il y a de quoi se perdre, tant les différences sont importantes. Pour autant, l’optimisme béat qui prévalait il y a quelques mois tend petit à petit à disparaître, tant la conjoncture nationale actuelle, caractérisée par un déficit pluviométrique estimé à près de 61% (jusqu’au mois de décembre 2015), est morose. Du côté du gouvernement, qui brandit de façon jubilatoire le taux de croissance en 2015 (qui devrait s’établir à 4,5%), les visages sont d’ores et déjà crispés. Car, même s’il reste encore sur sa prévision de 3%, tel que préconisée dans le Projet de Loi de Finances 2016, il demeure convaincu, même s’il n’y pas d’aveu officiel, que ce taux sera irréalisable. Le déficit pluviométrique a fortement compromis la campagne agricole, laquelle reste le principal moteur de la croissance. Une très bonne année agricole, comme c’était le cas durant la campagne 2014/2015 avec une production céréalière record de 110 millions de quintaux, rime toujours avec une croissance qui flirte avec les 5%. C’est devenu une constante au Maroc. Or, pour cette année, on ne parle même plus de campagne moyenne, mais plutôt à la limite catastrophique. Au point qu’un plan d’urgence a été initié, sous l’impulsion du Souverain : 4,5 Mds de DH vont être débloqués pour lutter contre les effets du déficit pluviométrique, auxquels il faut ajouter 1,25 Md de DH comme potentiel d’indemnisation au niveau de la compagnie d’assurances, dans le cadre du produit multirisque climatique pour les cultures céréalières et printanières. De quoi s’alarmer ? Bien évidemment. Surtout si l’on sait qu’avec déjà 4,5% de croissance, le Maroc n’arrive pas à faire face au problème endémique du chômage qui flirte allégrement avec la barre des 10%. Cette situation a d’ailleurs poussé nombre d’institutions à revoir à la baisse leur prévision de croissance au titre de l’exercice 2016.
Sévères, le HCP et le CMC ?
Des institutions nationales, Bank Al-Maghrib est sans aucun doute la plus clémente dans ses prévisions. La Banque centrale table, en effet, pour 2016, sur une croissance de 2,1%, avec une décélération de sa composante non agricole à 2,7% et une contraction de la valeur ajoutée agricole de 4,3%, «sous l’hypothèse d’une production céréalière moyenne». Il faut néanmoins préciser que cette prévision a été établie en décembre dernier, alors qu’existait encore l’espoir d’une pluviométrie plus clémente.
Après avoir tablé sur 2,8%, le Centre marocain de conjoncture, pour sa part, a baissé drastiquement sa prévision : au plus, un taux de croissance de 1,2% en termes réels pour 2016.
Quant au haut-commissariat au Plan, il est dans la même lignée que le CMC. Le département de Lahlimi prévoit, en effet, une croissance d’environ 1,3% avec, en toile de fond, «une production céréalière de 40 millions de quintaux».
Au regard des paramètres pluviométriques actuels, il faut également s’attendre à ce que les institutions financières internationales changent, elles aussi, de fusil d’épaule. Au niveau de la Banque mondiale, qui prévoyait en septembre dernier une croissance du PIB de 2,7%, tout porte à croire que l’on s’achemine vers une révision de ce taux à 2%, voire moins. C’est ce qu’a d’ailleurs laissé entendre dernièrement Jean-Pierre Chauffour, l’économiste principal de la Banque mondiale au Maroc (voir page…).
Le Fonds monétaire international, pour sa part, ne s’est pas encore prononcé. Après un taux de croissance de 5% prévu en avril, il l’a baissé à deux reprises entre octobre et novembre pour le ramener respectivement à 3,7 et 3%, s’alignant sur les prévisions du gouvernement marocain. Sauf que, là aussi, le FMI tablait sur un «retour de l’activité agricole à un niveau normal».
Gouvernement : Bouche cousue
Etonnant le silence du gouvernement ! Il avait pris la fâcheuse habitude de monter au créneau et de dénoncer les prévisions trop pessimistes, surtout celles émanant du HCP, allant même jusqu’à dénigrer cette institution. Laquelle, il est utile de le rappeler, se conforme dans ses statistiques et ses études aux normes internationales, et est admise, depuis 2005, à la Norme spéciale de la diffusion des données du Fonds monétaire international. Surtout, le HCP jouit d’une «indépendance institutionnelle et intellectuelle dans l’établissement de ses programmes et la conduite de ses travaux d’enquêtes et d’études». Dans une récente interview accordée à Finances News Hebdo (www.financenews.press.ma), l’économiste Larabi Jaïdi ne dit d’ailleurs pas autre chose. «Au Maroc, la prévision de référence est celle du HCP», lequel «dispose de moyens considérables pour effectuer ses prévisions, ce qui explique le grand crédit donné à ses calculs». Et de préciser que «les chiffres du ministère des Finances sont par définition plus politiques que ceux du HCP et de Bank Al-Maghrib (…). Le budget 2016 est basé sur une prévision supérieure, comme c’est très souvent le cas, à la plupart des autres prévisions. Si le gouvernement avait tablé sur une croissance plus faible, il aurait dû mettre plus de rigueur dans son Budget, ou alors réduire son ambition de baisse des déficits publics». Des propos transparents pour qui sait lire.
David William