Copropriété: l’urgence d’une réforme de la réglementation du métier de syndic

Copropriété: l’urgence d’une réforme de la réglementation du métier de syndic

La loi 18-00 est théoriquement saine et cohérente dans son ensemble, mais ne répond pas à une très grande partie des problématiques. Le nouveau décret sur la gestion comptable des syndics de copropriété apportera plus de transparence dans les comptes. Entretien avec Dalila Ennaciri, présidente de l’Association marocaine de la copropriété.

 

Par C. Jaidani

Finances News Hebdo : Comment jugez-vous la loi sur la copropriété ?

Dalila Ennaciri : La qualité de la loi sur la copropriété doit être évaluée en fonction de sa capacité à promouvoir une gestion transparente, à résoudre efficacement les litiges, à assurer la protection des droits des copropriétaires et à favoriser la durabilité financière des propriétés partagées. Pour répondre à votre question, il faut revenir un peu sur la chronologie de notre loi sur la copropriété au Maroc. La copropriété a été introduite au Maroc d’abord par le dahir du 16 novembre 1946, ensuite via le règlement de copropriété article 45 de la loi 25-90 en 1992, pour finir en 2002 avec la loi 18-00, dite loi de la copropriété de référence au Maroc et son amendement en 2016 par la loi 106-12 . Nous parlons d’une loi assez jeune, car les vrais principes de la copropriété tels que nous les connaissons, sont ceux de la loi 18-00 de 2002. Cette loi est saine et cohérente théoriquement dans son ensemble, mais ne répond pas à une très grande partie des problématiques que nous vivons sur le terrain.  La loi 106-12 a, quant à elle, apporté un nouveau souffle à la gestion de syndic, notamment en passant le délai de prescription du paiement des charges de syndic de 2 à 5 ans et l’introduction des ensembles immobiliers de villas, dits copropriétés horizontales.  Et pour finir, le dernier décret adopté fin décembre 2023, qui introduit une grande réforme comptable dans la gestion. Nous avons une loi sur la copropriété relativement jeune au Maroc, mais qui n’a rien à envier à beaucoup de grands pays dans le monde.

F.N.H. : Ce texte a-t-il besoin d’une nouvelle réforme pour être en adéquation avec l’environnement socioéconomique des Marocains, particulièrement avec l’apparition de nouveaux besoins comme les bornes de recharge pour les voitures électriques ?

D. E. : Le nouveau décret adopté a effectivement apporté une grande réforme tant attendue dans la comptabilité des syndicats des copropriétaires. Maintenant, il y a un plan comptable type à adopter et un cadrage de la tenue des archives et de l’adoption des comptes. La réforme la plus urgente attendue est celle de la réglementation du métier de syndic. On ne peut pas assainir un écosystème sans s'assurer de la santé de son acteur principal, à savoir le syndic. La réforme comptable est certes un premier pas, mais le gestionnaire des comptes doit lui-même avoir un rôle normalisé et reconnu par les différentes instances qui interagissent avec la copropriété. Les établissements bancaires, la conservation foncière ou même les autorités locales ont différentes manières d'apprécier le rôle du syndic. Quand le métier de syndic sera réglementé, on pourra envisager un dépôt des comptes à la DGI ou sur une nouvelle plateforme créée à cet effet. Ce qui donnera de la crédibilité à la gestion d'une copropriété reflétant ainsi sa bonne gestion ou sa solvabilité pour envisager par exemple des chèques de l’Etat ou des exonérations de TVA. Et pourquoi pas une caution de la ville ou de la région pour des travaux de ravalement ou des investissements dans le cadre de projets à forte valeur ajoutée environnementale comme l'installation de bornes électriques pour les voitures.

F.N.H. : Le recouvrement des cotisations des résidents est l’un des problèmes majeurs de la copropriété. Avez-vous des propositions pour remédier à cela ?

D. E. : Le recouvrement est naturellement le nerf de la guerre pour toute copropriété, et ceci est un constat courant. La loi marocaine prévoit une procédure dite procédure d'injonction de paiement qui est simplifiée et très claire.  Mais il y a plusieurs difficultés que le syndic rencontre sur le terrain et dans l'application dudit dispositif. L'appréciation de la notion de notification par le juge, le coût du formalisme de la convocation et de la notification du procèsverbal, sans parler de celui de la procédure elle-même, obligent la copropriété à utiliser des sommes d'argent dans les frais et les procédures quelquefois équivalentes à la somme d'argent objet de la procédure. Pour remédier à cela, plusieurs pistes de propositions sont envisageables, comme la favorisation de la médiation obligatoire. A cet effet, on peut inscrire au règlement de copropriété un processus de médiation obligatoire en cas de différends liés au recouvrement des cotisations en copropriété. La médiation peut aider à résoudre les conflits de manière plus rapide et moins coûteuse que les procédures judiciaires classiques. La révision du délai de prescription est aussi un axe d’amélioration. Le délai est aujourd’hui de cinq années, faisons-le passer à 10 ans. Sur un autre registre, l’éducation et la sensibilisation représentent un axe important, à savoir multiplier les initiatives d'éducation et de sensibilisation, y compris les programmes visant à informer les résidents sur l'importance du paiement des cotisations en temps voulu et sur les conséquences du non-paiement.

F.N.H. : L’essor de la copropriété a généré le développement de l’activité de syndic professionnel. Cela a entraîné parfois le dérapage de certaines entreprises opérant dans ce domaine. N’est-il pas opportun d’organiser ce métier en exigeant des conditions strictes pour l’exercer ?

D. E. : Non seulement il est opportun d'organiser le métier, mais il y a urgence à le faire. Le législateur a donné aux syndics le pouvoir d'ouvrir un compte bancaire, le pouvoir de signer au nom de la copropriété et le pouvoir de gérer l'argent des copropriétaires, mais il n'a émis aucun contrôle d'accès aux métiers de syndic, ni les conditions pour exercer ce métier. Organiser le métier devient aujourd'hui un chantier vital pour la copropriété. Il faut en effet des critères de formation pour accéder à cette activité et que les professionnels de syndic aient un minimum d'organisation de leur back-office, comme la possession d'un logiciel de comptabilité et d'une solution de gestion. Beaucoup de syndics professionnels opèrent depuis une domiciliation, sans possession d'un siège social. Ce qui est inadmissible lorsqu’on gère des fonds qui peuvent représenter parfois quelques millions de dirhams.

F.N.H. : Un texte de loi sur la gestion comptable des syndics de copropriété devrait entrer en vigueur cette année. Quel est son apport au juste ?

D. E. : Le nouveau décret sur la copropriété adopté le 21 décembre 2023 par le gouvernement apporte 5 nouveautés majeures dans la vie d'une copropriété. Tout d'abord, il est établi dorénavant un plan comptable type pour les syndicats des copropriétaires. Deuxièmement, les copropriétés qui totalisent moins de 200.000 dirhams de budget ne présenteront que quelques annexes dudit plan comptable. Celles totalisant plus d’un million de dirhams de budget doivent, en plus de l'établissement du plan comptable complet, vérifier la sincérité des comptes par un professionnel de comptabilité agréé à cet effet. Enfin, les archives des syndicats des copropriétaires doivent dorénavant être conservées pour une durée de 5 années et, pour finir, le législateur a mis en place un modèle de budget type à adopter par les copropriétés. Ce nouveau décret apportera plus de transparence dans les comptes, et surtout la standardisation de gestion des comptes des syndicats des copropriétaires. Cela signifie des passations plus faciles entre syndics et aussi plus de fluidité et facilité en cas d'audit des comptes ou expertise des comptes par un tiers. La réforme comptable va aussi introduire de nouvelles notions qui n'étaient peut-être pas appliquées dans plusieurs copropriétés, comme la notion de report de déficit ou celle de report de crédit. Ainsi, les créances, qu'elles soient de copropriétaires ou de fournisseurs, seront inscrites sur les livres comptables et permettront un suivi plus rigoureux. 

 

 

 

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