En dépit des efforts de diversification, le Maroc demeure dépendant de l’agriculture.
L’Etat doit réduire son train de vie pour financer les différents programmes structurants.
Entretien avec Mohamed Amrani, professeur d’économie.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : L’économie marocaine traverse une période difficile marquée par la sécheresse et une conjoncture internationale défavorable accentuée par la guerre en Ukraine. Quelle est votre lecture de la situation ?
Mohamed Amrani : Après la pandémie, un début de relance de l’économie internationale et aussi marocaine a été enregistré, mais il a été vite perturbé par les entraves que vous avez citées. Face à cette situation, le Maroc a été contraint de revoir sensiblement à la baisse ses prévisions. Dans le cadre de la Loi de Finances 2022, le taux de croissance était fixé à 3,2%, mais il a été dernièrement établi à 1,5%. Toutefois, si les éléments défavorables devraient être accentués, notamment les soubresauts de la sécheresse, il est fort probable qu’il soit de nouveau réduit. La hausse du coût des importations, notamment la facture énergétique et céréalière, a sérieusement impacté les prix à la production ainsi qu’à la consommation. L’inflation importée présente des menaces importantes pour l’économie nationale. Heureusement que certains secteurs comme les phosphates, l’automobile ou les transferts des MRE ont réalisé de bonnes performances permettant d’amortir quelque peu les aléas de cette conjoncture. D’autres activités comme le tourisme, le transport ou le commerce ont connu à leur tour un certain redressement. Malgré cela, l’économie marocaine reste intimement liée à l’évolution de l’agriculture. La prochaine saison sera déterminante. Une nouvelle année de sécheresse sera synonyme de catastrophe, surtout que les réserves en eau des barrages ont enregistré une baisse historique et de nombreux ouvrages frôlent le tarissement.
F.N.H. : Qu’en est-il de l’effet de l’inflation ?
M. A. : Le taux d’inflation a atteint un niveau inquiétant. Elle s’inscrit dans un mouvement exponentiel, présentant des risques sérieux non seulement d’ordre économique, mais aussi et surtout social. Elle impacte directement le pouvoir d’achat des citoyens, surtout ceux à revenu limité. Le phénomène est quasi généralisé dans le monde, incitant tous les pays à prendre des mesures drastiques pour la maîtriser ou en atténuer l’effet. Le Maroc a ainsi pris certaines dispositions, dont l’allocation d’une subvention exceptionnelle pour le secteur du transport et une nouvelle rallonge budgétaire pour la Caisse de compensation. Sur le plan monétaire, Bank Al-Maghrib a relevé son taux directeur. Cependant, ces mesures sont insuffisantes pour y faire face car dans cette période de crise, il faut accélérer les réformes.
F.N.H. : Dans ces conditions contraignantes, comment jugez-vous l’évolution du Dirham ?
M. A. : Durant la pandémie et aussi la période qui a suivi, le Dirham s’est montré quelque peu résilient. Il a été peu impacté par rapport à certaines économies comme celles de la Tunisie, l’Algérie ou la Turquie. A l’image de l’économie du pays, la monnaie nationale a résisté aux aléas de la conjoncture, soutenue par le volume important des réserves en devises grâce notamment aux transferts record des MRE et aux ventes de phosphates. La politique de semiflexibilité adoptée par les autorités monétaires a montré sa pertinence. Encore faut-il souligner que, dernièrement, le Dirham a commencé à se déprécier surtout face au Dollar, et ce sous l’effet d’importations massives.
F.N.H. : Le gouvernement devrait présenter son projet de Loi de Finances 2023 au plus tard le 20 octobre. Quels sont les éléments sur lesquels il doit capitaliser pour faire face à cette situation ?
M. A. : Le projet de Loi de Finances 2023 devrait poursuivre le soutien de l’économie nationale, maîtriser davantage les pressions inflationnistes et, par la même occasion, maintenir l’investissement public. Sur le plan fiscal, le gouvernement a annoncé une baisse de l’impôt sur le revenu (IR). Cette mesure est une bouffée d’oxygène pour les ménages, particulièrement la classe moyenne. Au niveau social, il devrait achever le projet de la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO) et mettre en œuvre le registre social unifié. Pour financer tous ses programmes, l’Etat aura besoin d’importantes ressources financières. C’est une équation très difficile à résoudre, mais il dispose de plusieurs marges de manœuvre. Pour y parvenir, il est impératif qu’il réduise ses dépenses, notamment de fonctionnement, comme les budgets alloués pour les parcs roulants, les déplacements et les festivités.