Salaheddine Mezouar, devant les patrons de la presse nationale, mercredi 23 janvier. Photo : Sohaib Zefri
Statut de la CGEM, les voyages à l’étranger, les dépenses, les démissions, la Loi de Finances 2019, etc. : le président de la CGEM a répondu point par point aux nombreuses attaques dirigées contre lui ces dernières semaines.
Il est également revenu sur les actions prioritaires qu’il a menées depuis qu’il est à la tête du patronat, et celles qu’il compte entreprendre dans les prochains mois.
Le ton était sérieux, à la limite grave. Devant les patrons des médias mercredi matin, Salaheddine Mezouar, président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), n’a laissé entrevoir aucun sourire.
Les circonstances légitiment cette attitude, dira-t-on, car l’enjeu pour lui était d’apporter un certain nombre de précisions et d’éclaircissements face à la salve de critiques et d’attaques dont il a été victime ces derniers temps dans la presse justement. «Je suis bon joueur, j’en ai vu d’autres. Mais parler de la faillite d’une organisation et d’un homme au bout de quelques mois, c’est aller fort en besogne», souligne-t-il d’emblée.
Mezouar s’est ainsi attardé sur certains des points majeurs qui ont fait polémique ces derniers mois. Le premier concerne l’élargissement de la représentation de la CGEM qui lui a été reprochée. L’ancien ministre des Finances se défend en rappelant que cet élargissement était annoncé dès le départ. «Nous avons voulu élargir la représentation dans le Conseil d’administration de la CGEM. Cela a été acté, soumis aux membres et validé sans contestation lors du CA», rappelle-t-il.
«J’ai été transparent. J’ai, dès le début, dit que les statuts actuels sont dépassés dans leur forme et leur mode dans un environnement qui a changé», ajoute-t-il, non sans reconnaître que la CGEM «a pêché par manque de communication».
«J’ai découvert avec étonnement, quelques mois après, des critiques dans la presse. J’aurais aimé que les défenseurs de l’orthodoxie statutaire viennent me voir. Ils ont préféré la voie des médias, ce qui présuppose une volonté de ne pas jouer le jeu pour arriver à un objectif», tonne-t-il.
L’autre point abordé concerne la démission retentissante d’Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank, de la CGEM, «un homme pour qui j’ai énormément de considération et de respect», a d’abord précisé Mezouar.
«Beaucoup de choses ont été dites et la presse en a fait des tonnes. Il faut respecter les choix de chacun. C’est la vie normale d’une organisation», note-t-il, tout en précisant qu’il s’interdit de s’expliquer sur les choix personnels d’une personne qui a décidé de prendre du recul.
Le patron des patrons s’est aussi longuement exprimé sur ses absences répétitives, ses nombreux voyages à l’étranger, aux frais de la CGEM. Sur ce point précis, il a tenu à tirer les choses au clair : «la vérité est que depuis que je suis élu, 90% de mon temps sont consacrés à la CGEM. J’ai eu un agenda national et international très chargé entre septembre et décembre, avec notamment 50 actes en relation avec l’international. Et cela honore la CGEM», martèle-t-il.
«Quand on est représentant d’une organisation, c’est elle qui doit te financer. Il ne doit pas y avoir de confusion ni de mélange des genres. Chacun doit assumer ses responsabilités. Si j’ai les moyens, j’en donne à la CGEM, en toute transparence. Dans le cas contraire, je ne peux être tenu pour responsable», explique Mezouar.
«Nous avons des donateurs et la CGEM reçoit des financements sous forme de sponsoring. Nous avons reçu des dons dans la Fondation à hauteur de 20 millions de DH. Tout est transparent et on ne demande à personne de payer de sa poche», s’est-il défendu.
Economie : «Nous avons avancé sur nos priorités»
Mezouar s’est aussi longuement appesanti sur sa méthode, décriée par certains, pour faire entendre la voix de la CGEM auprès du gouvernement. On lui a notamment reproché de ne pas avoir assez pesé sur l’élaboration de la Loi de Finances 2019 et de ne pas avoir porté les doléances des différentes fédérations.
«La discussion autour de la Loi de Finances se fait bien avant. J’ai discuté des principes et des choses fondamentales qui touchent le monde des entreprises bien en amont. Nous avons tenu plusieurs réunions, depuis le mois juillet, avec le ministère des Finances, le Fisc et la douane», fait-il savoir.
Mezouar, qui avait promis un choc de confiance une fois à la tête du patronat, explique qu’il y a des réalités à gérer, comme les hautes orientations royales qui fixent les priorités du budget. La première de ces priorités pour le PLF 2019 était de répondre à une demande sociale forte. «Il était difficile de revoir les structures du budget, de dégager des marges, tout en évitant un glissement des déficits vers des niveaux non soutenables», explique le patron de la CGEM.
Il souligne qu’il a préféré agir sur des axes prioritaires, tels que le remboursement des arriérés de l’Etat pour sortir les entreprises de la situation d’asphyxie dans laquelle elles se trouvaient, plutôt que de négocier pour quelques «mesurettes», dont les effets positifs restent à démontrer.
Sur ce sujet d’ailleurs, Mezouar estime avoir eu gain de cause. «L’Etat a respecté ses engagements. Il a déboursé 40 milliards de DH. Beaucoup d’entreprises ont récupéré du cash», se félicite-t-il, précisant que «c’était la condition nécessaire pour redonner du souffle à nos entreprises». L’autre point sur lequel Mezouar estime avoir eu gain de cause concerne la fiscalité. Selon lui, le Maroc était sous la pression de la directive européenne sur les paradis fiscaux (le Maroc est dans la liste grise de l'UE), ce qui aurait pu engendrer une hausse des taux de l’IS. «On a obtenu des choses : ni le taux de 17,5% ni l’IS progressif n’ont été remis en cause. On s’est battu pour cela», a-t-il fait savoir.
La remise à plat du cadre fiscal se fera durant les Assises de la fiscalité qui se tiendront en mai. «Concernant ces Assises, on s’est mis d’accord sur une doctrine», indique le patron des patrons. «On ne peut pas fonctionner sans doctrine. C’est fondamental. La CGEM apportera sa vision, tout en gardant sa liberté», a-t-il ajouté. La CGEM a ainsi arrêté 3 principes en concertation avec le MEF et la DGI : visibilité et stabilité du cadre, avec un niveau de fiscalité maximum de 25% pour les entreprises; neutralité, c’est-à-dire que l’Etat ne doit plus garder l’argent des entreprises; et enfin le respect des règles par tout le monde, Etat et entreprises.
Droit du travail, dialogue social, entrepreneuriat, lutte contre l’informel, formation professionnelle, financement des PME : Mezouar assure que toutes ces questions sont sur la table et que la CGEM formulera des «propositions concrètes, et non pas uniquement des recommandations».
Enfin, s’agissant de l’épineuse question du financement des entreprises, Mezouar a annoncé que la réunion tripartite entre Bank Al-Maghrib, le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) et la CGEM est programmée pour le mois de mars. Sur ce point précis, Mezouar est conscient que les banques subissent aujourd’hui des pressions considérables sur les fonds propres (normes bâloises, IFRS 9 et bientôt la réforme de la classification des créances en souffrance, ndlr). «Avec le ministère des Finances, il va falloir gérer cette phase, et j’ai demandé la mise en place de fonds de garantie pour accompagner la transition, parce que nous sommes dans une phase critique», a déclaré Mezouar.
Pour lui, il s’agit d’une exigence qui entre dans le cadre de la responsabilité du gouvernement, pour accompagner cette mutation des banques liée à de nouvelles règles. «C’est le rôle d’un gouvernement. Il y a une responsabilité politique pour continuer à financer les entreprises !», conclut-il. ◆
Par A.E