Ce que gagnerait le Maroc à légaliser le cannabis

Ce que gagnerait le Maroc à légaliser le cannabis

Mohamed Ben Amar, professeur de pharmacologie à l’Université de Montréal


 

Si le Maroc venait à légaliser le cannabis, l'impact social et économique serait bénéfique.

Mohamed Ben Amar connaît bien ces questions et milite pour une légalisation de ce produit, notamment pour un usage médical. Et il ne manque pas d’arguments.

 

Propos recueillis par C.J

 

Finances News Hebdo : Vous avez réalisé une étude au Canada sur le cannabis, avec le soutien du gouvernement du Québec. Pensez-vous que la légalisation décidée par ce pays peut contrôler la dépendance (addiction) à cette drogue et lutter contre la criminalité ?

Mohamed Ben Amar : Définitivement, oui. La légalisation du cannabis au Canada entrée en vigueur le 17 octobre 2018 visait cinq objectifs principaux :

1-  Contrôler la vente du cannabis en interdisant aux mineurs de s'en procurer. Certaines provinces canadiennes, dont le Québec, vont imposer l'âge minimal d'acquisition à 21 ans. 

2- Contrôler la qualité du cannabis en standardisant la concentration en tétrahydrocannabinol (THC) et en cannabidiol (CBD), les deux principaux ingrédients du cannabis et en éliminant les agents adultérants.

3- Vendre le cannabis à un prix raisonnable et inférieur à celui disponible sur le marché noir.

4- Neutraliser le crime organisé qui domine le marché noir.

5- Réinvestir l'argent généré par la vente du cannabis dans des programmes d'information et de prévention et augmenter les ressources pour traiter les problèmes de toxicomanie.

 

F.N.H. : Existe-t-il suffisamment d'études scientifiques sur le cannabis au Maroc ?

M. B. A. : Malheureusement non ! Dans mon livre «Drogues : la réalité marocaine», j'en parle. Malgré la présence de chercheurs marocains de haut calibre, il y a très peu d'études scientifiques publiées sur le sujet, car la recherche au Maroc est sous-financée dans tous les domaines, de sorte que de nombreux chercheurs sont obligés de s'expatrier.

 

F.N.H. : Pensez-vous que le cannabis produit au Maroc peut avoir d'autres utilisations licites (pharmaceutiques, industrielles ou autres) ?

M. B. A. : Certainement, il faut savoir que si un jour le Maroc venait à légaliser le cannabis, l'impact social et économique serait très bénéfique. La culture du cannabis (kif) dans la région du Rif profite très peu aux cultivateurs. Ce sont les trafiquants qui se remplissent les poches.

D'autre part, le Maroc pourrait éventuellement exporter légalement un cannabis médical et récréatif de grande qualité dans les pays où c'est légal, ce qui générerait de l'emploi et des revenus substantiels à l'Etat. 

A titre d'exemple, deux jours après la légalisation du cannabis au Canada, il y a eu une rupture des stocks dans la majorité des magasins officiels gérés par les autorités.

Il faut aussi savoir que le Luxembourg légalise cette année le cannabis et d'autres pays suivront sous peu. Le Mexique, le Liban et l’Iran envisagent aussi de le faire.

 

F.N.H. : Vous avez participé au Congrès des pharmaciens (Biennale pharmaceutique) à Hammamet en Tunisie et animé une conférence sur le sujet le 9 février dernier. Quels ont été les grands axes de votre intervention ?

M. B. A. : J'ai essayé de résumer les données actuelles disponibles sur le cannabis qui sont contenues dans le livre que je viens de publier au Canada, intitulé «Le Cannabis :
pharmacologie et toxicologie» (www.cqld.ca).

Il faut savoir que l'abus du cannabis chez les jeunes peut entraîner à la longue la psychose, dont la schizophrénie. Par opposition, le potentiel médical du cannabis est énorme et méconnu de beaucoup de professionnels de la santé et de la population en général.

Plus de 250 études cliniques contrôlées (c'est-à-dire les plus fiables et reconnues et qui sont comparatives à un médicament déjà sur le marché ou à un placebo) ont été publiées dans le monde. Elles ont clairement démontré l'efficacité du cannabis ou des cannabinoïdes dans le traitement des nausées et des vomissements liés à la chimiothérapie anticancéreuse, la stimulation de l'appétit chez les personnes souffrant du cancer ou du VIH/Sida, la douleur chronique, la sclérose en plaques, les lésions de la moelle épinière, la maladie de la Tourette et l'épilepsie.

Il faut aussi souligner que le cannabis était présent dans la pharmacopée des Etats-Unis dès 1851 et qu'il a été retiré de celle-ci en 1941, non pas pour des raisons scientifiques, mais pour des raisons politiques.

Ainsi, en tant que scientifiques, nous ne devons ni banaliser ni diaboliser l'usage du cannabis. Il faut toujours donner l'heure juste pour garder sa crédibilité auprès de la population.

 

F.N.H. : Quel rôle peut jouer le pharmacien pour lutter contre la toxicomanie et l'addiction aux psychotropes ?

M. B. A. : Le pharmacien peut jouer un rôle primordial, non seulement en donnant de l'information objective sur les faits et méfaits des psychotropes (substances qui agissent sur le psychisme des individus), mais aussi en faisant de la prévention chez les patients qui viennent le consulter. Il peut aussi délivrer le cannabis médical dans les pays où il est autorisé, comme c'est le cas actuellement en Uruguay et aux Pays-Bas.

D'autre part, au Québec, les pourparlers sont très avancés aujourd'hui entre l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires et le gouvernement pour que ce soient les pharmaciens qui délivrent et vendent le cannabis médical dans un proche avenir. ◆

 

 

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