Ce marché commun de près de 300 millions d’habitants connaît une dynamique de croissance forte depuis quelques années. Le Maroc, qui a pris du retard sur cette région à fort potentiel, ambitionne de booster ses échanges avec cette partie du continent. Un pari ambitieux, dont la réussite dépendra en partie de l’approche stratégique préconisée, tant il y a des contraintes à surmonter. Détails.
Le renforcement de la coopération entre le Maroc et le reste de l’Afrique est loin d’être une simple clause de style. Sous l’impulsion du Souverain, en effet, elle est devenue une réalité symbolisée par la consolidation des relations de partenariat avec des pays africains au cours de ces dernières années, mais surtout par une présence de plus en plus remarquée de groupes marocains dans ces pays. Pour autant, il s’avère que pour des raisons liées à la proximité et à la langue, mais également à cause des affinités culturelles, voire politiques, le Maroc s’est davantage orienté vers les pays de l’Afrique de l’Ouest. Mais cet ancrage dans ce qu’on appelle communément les zones de confort, ne doit pas empêcher d’explorer de nouveaux marchés à fort potentiel, comme celui de l’Afrique de l’Est. Cela, BMCE Bank of Africa et l’Association marocaine des exportateurs (Asmex) l’ont compris. C’est le sens qu’il faut donner d’ailleurs à la convention signée entre les deux parties lundi dernier, en marge d’une conférence sur les opportunités de développement en Afrique de l’Est, placée sous l'égide du ministère délégué en charge du Commerce extérieur, et à laquelle ont participé plusieurs personnalités du public et du privé. Cette convention (voir détails en encadré) vise à «accompagner les entreprises marocaines dans leur développement à l’international, et sur le continent africain en particulier».
Un marché à fort potentiel
Le choix de cibler l’Afrique de l’Est est loin d’être fortuit. Ce marché commun de près de 300 millions d’habitants pour un PIB de 266 Mds de dollars US, est dans une dynamique de développement forte. Le taux de croissance, de 6,4% en 2015, devrait s’établir à 6,6% en 2016 dans la région. Rien que pour l’Ethiopie, considéré par le Fonds monétaire international parmi les 5 économies les plus dynamiques du monde, le taux de croissance annuelle moyen sur la période 2013-2016 est chiffré à 9,3%. Le processus de transformation économique structurelle engagée dans ces pays pour maintenir la dynamique enclenchée séduit d’ailleurs les investisseurs : ce sont 6 milliards de dollars qui y ont été investis en 2015, soit un montant multiplié par 4 en moins de 10 ans. D’où la nécessité pour le Royaume de réduire la distance économique qui la sépare de ces pays, en transcendant les contraintes éventuelles (culturelles, linguistiques…) pour saisir les opportunités qui s’y présentent. «Cette région à la population jeune et dynamique est un pôle de croissance et de développement multisectoriel. Il importe donc de mettre en place une stratégie de performance à long terme pour conquérir ce marché», fait d’emblée remarquer Hassan Sentissi, président de l’Asmex. Brahim Benjelloun-Touimi, administrateur Directeur général de BMCE Bank of Africa, qui, tout en soulignant que l’Afrique est inscrite dans les gènes de la stratégie du Maroc, ne dit pas autre chose. «Selon lui, il faut privilégier l’investissement pour créer une chaîne de valeur qui permettrait de booster les échanges. Surtout, cette région offre une véritable opportunité de triangulation (Maroc – UE, Chine… - Afrique de l’Est, ndlr) pour donner du sens à une démarche stratégique plus globale». Emanant du dirigeant d’une banque bien implantée dans la région, cette assertion a tout son sens. Pour rappel, BMCE Bank of Africa est en effet la 1ère banque marocaine présente en Afrique de l’Est à travers ses filiales au Kenya, Ethiopie, Djibouti, Ouganda, Rwanda, Burundi et Tanzanie. D’ailleurs, confirme Benjelloun-Touimi, le bureau de représentation en Ethiopie va bientôt se transformer en filiale bancaire. Néanmoins, pénétrer ce marché à fort potentiel exige une démarche autre que celle traditionnellement adoptée en Afrique de l’Ouest. «Il faut être rigoureux, pragmatique, prendre le temps d’apprendre et adopter une approche d’intégration globale», souligne pour sa part Mohamed Benayad, SG du ministère chargé du Commerce extérieur. «Par ailleurs, il faut prendre en considération les autres acteurs déjà présents dans ces marchés, notamment les Chinois et les Indiens, et surtout rentabiliser davantage notre présence bancaire dans la région dans le cadre d’une démarche collective», renchérit-il.
Hicham Alaoui Bensaid, directeur du département Risques chez Euler Hermès, pousse, lui, l’analyse beaucoup plus loin. «Avant d’aller vers ces marchés, il faut d’abord connaître leurs besoins», martèle-t-il d’emblée. En effet, ces pays importent essentiellement du pétrole, des biens de consommation et des biens d’équipements, alors que le Royaume ne peut leur proposer, entre autres, que du phosphate, des produits de pêche (poisson notamment) et des produits semi-manufacturés. «D’où la nécessité d’adapter l’offre exportable du Maroc», précise-t-il, non sans souligner que ce sont des pays à risque très mal classés dans le Doing Business 2016, lequel prend en compte 189 pays : Burundi (152ème), Djibouti (171ème), Ethiopie (146ème), Kenya (108ème), Ouganda (135ème), Rwanda (62ème) et Tanzanie (139ème). Néanmoins, nuance-t-il, «ils offrent des opportunités intéressantes : d’abord ils sont prêts à faire du business avec tout le monde; ensuite le Royaume a des choses à leur offrir». Pour Hicham Alaoui Bensaid, le Royaume peut, entre autres, faire prévaloir son expérience dans l’agriculture en dupliquant notamment le Plan Maroc Vert. L’autre levier important est de saisir les opportunités offertes par les investissements massifs en infrastructures dans cette région : il s’agit, là aussi, de dupliquer l’expérience marocaine en termes d’ingénierie de conduite de projets de ce genre. Dans la même optique, compte tenu du fait que ces pays sont très peu endettés (30 à 50% du PIB), les banques marocaines peuvent les accompagner dans leur processus d’endettement.
C’est dire que si la volonté de se faire une place dans ce marché est bien réelle, le pari est loin d’être gagné. Mais le Maroc a des cartes à jouer dans cette région.
Les grands axes de la convention
La coopération entre BMCE Bank of Africa et l’Asmex concerne différents domaines, notamment la formation, l’échange d’information et de connaissance économique et sectorielle et l’organisation de séminaires à Casablanca ou dans les régions. Elle englobe également la participation à des activités promotionnelles et commerciales, la participation de BMCE Bank of Africa aux commissions de l’Asmex et la mise en relation des cadres et membres de l’Association avec le réseau de la banque au Maroc et à l’international. En outre, elle prévoit la participation de BMCE Bank, aux côtés de l’Asmex, aux commissions bilatérales tenues avec le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération ou le ministère délégué en charge du Commerce extérieur.
David William