Le renouvellement des conventions nationales, la revalorisation des actes médicaux (consultation et réanimation), la révision des tarifs des médicaments et des dispositifs médicaux, autant de chantiers structurants ouverts par l’Agence nationale de l’assurance maladie. Retour sur les faits saillants de la nouvelle feuille de route de l’Assurance maladie obligatoire.
Trois heures et demi n’auront pas suffi pour entériner les points à l’ordre du jour de la 15ème réunion du Conseil d’administration de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM), tenue en début de semaine à Rabat. L’ANAM, pour rappel, tient deux conseils d’administration, l’un pour l’Assurance maladie obligatoire (AMO), l’autre pour le Régime d’assistance médicale (Ramed). Sur proposition du ministre de la Santé, El Houssaine Louardi, qui a présidé les travaux de ce Conseil consacré à l’AMO, la réunion des administrateurs se fera en deux temps. Une deuxième séance est prévue dans au moins deux semaines, le temps d’approfondir la réflexion sur certaines questions à l’ordre du jour, et de corriger quelques vices de forme.
Le président, c’est qui ?
Le premier point d’achoppement relevé par certains administrateurs, en particulier les représentants des syndicats, a trait à la présidence du Conseil, attribué légalement au Chef du gouvernement, ou bien à l’autorité gouvernementale déléguée par lui à cet effet. «Voulez-vous qu’on poursuive le Conseil ou bien qu’on aille chercher d’abord la délégation», rétorque le ministre El Ouardi. «L’agence est placée sous deux tutelles. Une tutelle technique, assurée par le ministère de la Santé, et une autre financière, chapeautée par le ministre de l’Economie et des Finances», rappelle de son côté, Jilali Hazim, Directeur général de l’Anam.
Taxation d’office !
L’arrêt des comptes 2014 est reporté à la deuxième réunion du Conseil d’administration. «Nous ne pouvons pas les approuver en l’absence des états de synthèse», relève la représentante de l’UMT, Amal El Amri. «Nous allons résoudre cette erreur lors de la prochaine séance», promet J. Hazim. Cela n’a pas empêché les administrateurs de s’interroger sur les tenants et aboutissants de la procédure d’imposition d’office, déclenchée par l’administration des impôts. Cette procédure sanctionne le défaut ou le retard dans le dépôt de déclarations destinées à l’assiette de l’impôt ou à l’évaluation des bases d’imposition. Sur ce point précis, le Commissaire aux comptes de l’agence a émis une réserve sur l’incidence de ce risque fiscal dont le montant total relatif aux trois types d’impôts (IS, TVA et Taxe professionnelle) s’élève à 67 millions de DH. «Nous avons demandé l’arrêt de la procédure de taxation d’office, en présentant une étude réalisée par un cabinet externe, confortant notre position. Nous attendons toujours la réponse de l’administration fiscale», souligne J. Hazim. Faut-il taxer une agence publique à but non lucratif ? N'y a-t-il pas lieu d’inscrire l’ANAM sur la liste des établissements publics exonérés d’impôts ? Bien des questions de fond restent posées !
Conventions caduques
Les conventions nationales seront bientôt renouvelées. C’est l’une des priorités du plan quinquennal de l’ANAM 2014-2018. Le bilan de la première génération des conventions, signées en 2006, témoigne du non-respect des tarifs, une quasi-absence de sanctions, des procédures administratives complexes, une faible adhésion des prestataires de soins privés aux conventions et des nomenclatures obsolètes des actes médicaux. Un premier round de négociations avec les autres parties prenantes de l’AMO (CHU, biologistes, médecins, dentistes, établissements de soins, pharmaciens, etc.) s’est soldé par l’identification des principaux axes de renouvellement. Les tarifs de certaines prestations seront ainsi revalorisés, notamment celui de la réanimation, ou encore ceux de la consultation du généraliste et du spécialiste. Notons également l’intégration de nouveaux actes entrant dans le diagnostic et le traitement de certaines maladies chroniques; la prise en charge des maladies cancéreuses sous forme d’indemnités forfaitaires, la baisse de la tarification des actes de biologie avec une lettre clé «B», ainsi que la révision de certains forfaits dont les tarifs des dispositifs médicaux et consommables ont connu une baisse (chirurgie cardiaque, par exemple).
Actes revalorisés
L’ANAM a tenu à adopter une approche commune avec les organismes gestionnaires de l’AMO (CNSS et CNOPS). Trois commissions techniques ont été créées pour aboutir à un consensus, avant d’entamer les négociations avec les prestataires de soins. La commission des études tarifaires avait ainsi évalué l’impact de la revalorisation des actes ayant fait l’objet du mémorandum d’entente. Dans le scénario d’une consultation généraliste à 120 DH et d’une consultation spécialiste à 200 DH, les dépenses additionnelles sont estimées à 153 millions de DH, sans compter un surplus de 16 millions de DH pour un forfait de réanimation à 2.100 DH. Ladite commission a évalué le gain engendré par la baisse des prix des médicaments et/ou des dispositifs médicaux (actes de radiologie interventionnelle et de chirurgie cardiaque, certains forfaits de radiologie, etc). Ce gain est estimé à 50 millions de DH, en ce qui concerne les actes de biologie médicale, avec une lettre «B» à 0,95 DH, et à 37 millions de DH pour les forfaits de chirurgie, et à 179 millions de DH suite à la baisse des prix des médicaments remboursables. Par ailleurs, la même commission a validé l’adoption du principe de groupement, d’hiérarchisation et de forfaitisation de certains bilans biologiques, ainsi que l’extension de la liste des médicaments à prendre en charge dans le cadre du tiers payant conclu avec les pharmacies d’officine.
Les prix baissent
Après le médicament, ce sera au tour des dispositifs médicaux de subir une nouvelle révision tarifaire. Parmi plus de 40.000 dispositifs pas moins de 869 ont déjà vu leur prix baisser à ce jour. «Cette opération manque, à mon avis, de vision globale. Cette révision tarifaire devrait obéir à la même démarche retenue pour les médicaments. Les baisses opérées jusqu’ici restent dérisoires, de l’avis même des fournisseurs», estime Abdelaziz Adnane, DG de la CNOPS. Les prix restent, paraît-il, élevés du fait de la multiplicité des intermédiaires. Le ministre El Ouardi promet de prendre ce dossier à bras- le-corps, tout en rappelant le principe requis lors de la révision des tarifs des médicaments remboursables. En effet, le prix révisé doit absolument être inférieur ou égal à la moyenne observée, dans un échantillon de huit pays. Tandis que le nouveau décret stipule que le prix de tout nouveau médicament devra être inférieur ou égal au plus bas prix observé à l’échelle internationale. Toujours en lien avec la tarification, le DG de la CNOPS a saisi l’occasion pour inviter le gouvernement à attaquer le dossier des analyses biologiques, dont le prix est jugé élevé. «Cela fait six ans qu’on en parle, mais rien n’a été fait sur ce dossier. Il est temps de les baisser, en procédant, par exemple, à une forfaitisation des actes les plus fréquents», propose A. Adnane.
Une question de transparence ?
Les deux commissions créées en 2014, celle de la «transparence», d’une part, et celle d’évaluation économique et financière, d’autre part, ont suscité un vif débat lors du Conseil d’administration de l’ANAM. La première a pour mission de donner un avis sur l’inscription ou bien le retrait d’un médicament de la liste des médicaments remboursables. Depuis octobre 2013, l’ANAM a alimenté le Guide des médicaments remboursables de 247 génériques évalués par la Commission de transparence. La deuxième commission, quant à elle, a la charge d’évaluer l’impact économique et financier des médicaments et des dispositifs admis ou retirés du circuit de remboursement, suite à l’avis de la Commission de la transparence. Le DG de la CNOPS soulève la question du soubassement juridique de ces deux commissions (les décisions d’inscription ou de retrait de la liste des médicaments et dispositifs remboursables doivent, in fine, émaner du Conseil d’administration, et il y a lieu de soumettre cette question à l’avis du Secrétariat général du gouvernement). Le représentant de la CNSS, quant à lui, pointe du doigt le «manque de compétence» des organismes gestionnaires ainsi que le problème de représentativité au sein de ces deux Commissions. L’industrie pharmaceutique, d’après lui, y exerce un fort lobbying, et il serait aberrant de donner au représentant d’un laboratoire le pouvoir de statuer sur la remboursabilité de son propre médicament ! La réaction du DG de l’ANAM ne s’est pas fait attendre. «Ces Commissions ont été validées par le Conseil d’administration. On nous accuse injustement d’obéir à la pression de l’industrie pharmaceutique. Ce qui nous intéresse le plus, ce sont d’abord et avant tout les intérêts des assurés. De par la loi, l’ANAM est une autorité de régulation. Ayons confiance dans son travail, et laissons à ses cadres le soin de remplir les missions qui sont les leurs», tranche Hazim Jilali. Sur ces questions liées auxdites commissions, le ministre de la Santé devra réunir les protagonistes en comité restreint, en vue de rapprocher les points de vue et trouver un compromis avant la tenue du deuxième round du Conseil d’administration de l’ANAM.
Wadie El Mouden