Face aux aléas climatiques, à la pression démographique et aux exigences croissantes en matière de souveraineté alimentaire, le Maroc s’engage dans une mutation agricole profonde. Portée par les technologies de l’AgriTech (drones, intelligence artificielle (IA), capteurs intelligents), cette révolution verte se déploie à grande vitesse sur l’ensemble du territoire.
Par K. A.
L'intelligence artificielle transforme désormais en profondeur la gestion agricole. En analysant les données recueillies par les drones et les capteurs IoT, elle permet des prédictions précises sur la croissance des cultures, les besoins en irrigation ou en fertilisation et les risques de maladies. Cette capacité à anticiper renforce la réactivité des exploitants, optimise les rendements et limite les coûts d’exploitation, tout en réduisant l’impact environnemental.
Au Maroc, plusieurs plateformes émergentes proposent déjà des recommandations personnalisées aux agriculteurs, en temps réel, sur la base de données collectées sur le terrain. Une dynamique appuyée par des initiatives publiques comme le programme national «AgriTech4Morocco», qui accompagne l’intégration de ces outils technologiques dans les pratiques agricoles locales.
Selon les données officielles, ce secteur représente aujourd’hui près de 15% du PIB national et emploie plus de 40% de la population active totale. Un poids stratégique qui justifie pleinement les efforts de modernisation. Les technologies numériques permettent désormais d’aller plus loin dans l’agriculture de précision : mesurer les niveaux d’humidité du sol, ajuster l’irrigation, moduler l’apport d’engrais ou détecter précocement les maladies. Ce virage s’inscrit pleinement dans les objectifs du plan «Génération Green 2020- 2030», qui place la digitalisation au cœur de la politique agricole du Royaume. Son ambition est sans ambiguïté : produire plus, avec moins de ressources.
De la surveillance à l’anticipation
L’usage des drones connaît une montée en puissance dans les exploitations agricoles marocaines. Équipés de caméras multispectrales et thermiques, ces engins cartographient les champs et identifient les zones en difficulté : stress hydrique, maladies en développement ou carences nutritives. Autrefois réservées à des exploitations de grande taille, ces technologies deviennent de plus en plus accessibles, notamment grâce à l’émergence d’un tissu de startups locales soutenues par des programmes d’innovation nationaux.
À ces images viennent s’ajouter des traitements algorithmiques puissants. L’intelligence artificielle croise les données recueillies par les capteurs et les images aériennes pour générer des plans d’action intelligents : suggestions d’irrigation différenciée, prévisions de rendements, alertes phytosanitaires. Une stratégie qui prend tout son sens dans un pays soumis à un stress hydrique structurel, aggravé par les effets du changement climatique. Mais la technologie ne produit d’effet que lorsqu’elle s’ancre dans les territoires.
C’est toute la logique portée par l’AgriTech Expo, organisée à Sefrou en février 2025 sous le thème : «Technologies de l’eau et cultures résilientes : regard porté par notre jeunesse». Cette plateforme de dialogue et de démonstration a réuni chercheurs, startups, institutions publiques et acteurs de terrain. Salma Takky, coordinatrice du projet AnMoun au sein du CBI, a insisté sur l’importance de créer un environnement favorable à l’émergence de solutions locales : «Grâce à AnMoun, nous co-créons les conditions favorables à la croissance des PME agricoles et à l’émergence de talents en milieu rural».
Même son de cloche du côté d’Amine Zarouk, président de la Fondation Green OpenLab, qui alerte néanmoins sur la nécessité d’un accompagnement adapté : «Le vrai défi, c’est de faire accepter la technologie par les agriculteurs. Il faut leur montrer les bénéfices concrets, pas seulement théoriques». Un chantier national soutenu par les institutions La transition agricole numérique s’inscrit aussi dans une stratégie institutionnelle plus large.
La Caisse de dépôt et de gestion (CDG) accompagne les startups opérant dans l’AgriTech à travers des financements ciblés. Khalid Safir, Directeur général de la CDG, a annoncé un appui renforcé pour soutenir l’innovation dans les chaînes de valeur agricoles, tout en plaçant les petits exploitants au cœur des priorités. Le Maroc ne considère plus l’AgriTech comme une tendance passagère, mais comme un outil structurant de transformation agricole. D’autant que l’urgence climatique, la raréfaction de l’eau et la volatilité des prix mondiaux exercent une pression croissante sur la sécurité alimentaire.