Aéronautique: décarbonation, le nouveau défi

Aéronautique: décarbonation, le nouveau défi

◆ Le Maroc pourrait participer à la construction des nouveaux appareils, via la conception et la fourniture de pièces détachées de nouvelle génération et le développement de filières dans les matériaux innovants.

◆ Dans cet entretien, Xavier Tytelman, expert en économie de l’aéronautique et consultant auprès de Starburst, nous donne un aperçu sur les nouveaux enjeux écologiques du secteur aéronautique, et les possibilités pour le Maroc de se positionner dans ce nouveau marché.
 

Propos recueillis par B. Chaou
 

Finances News Hebdo : Par quoi un avion dit ‘écologique’  se caractérise-t-il ?

Xavier Tytelman : Tout dépend à quoi on le compare ! Un avion qui sort aujourd'hui d'usine, comme un A320 Neo ou un Boeing 737 MAX, est conçu pour consommer moins de 2 litres de carburant aux 100 km par passager. Par rapport à un trajet en voiture, nous pouvons donc dire que l'avion est écologique. Mais lorsque des milliards de personnes prennent l'avion chaque année, on arrive à des chiffres très importants et on doit absolument se diriger vers une aviation plus durable. De nombreux leviers doivent permettre de diviser par trois les émissions de CO2 de l'aviation d'ici 2050 au niveau mondial malgré sa croissance attendue.

F.N.H. : Quels sont ces leviers ?

X. T. : La première chose à faire est d'améliorer le fonctionnement général du secteur, via l’optimisation des opérations aériennes, par exemple via l'amélioration du contrôle aérien, l'utilisation des big data pour optimiser la poussée (3 à 5% de réduction), l'écopilotage, la systématisation des nettoyages moteurs, la pratique de l'écopilotage. Cela passerait aussi par l’utilisation de carburants alternatifs durables basés sur des déchets, ce qui permet de réduire de plus de -80% le bilan carbone d'un voyage aérien, améliorer aussi les infrastructures sur les aéroports, pour permettre un roulage électrique des avions au lieu de les laisser utiliser leurs moteurs, très peu efficaces au sol, pour leur fournir la climatisation ou l'électricité fournie par l'aéroport plutôt que de consommer du kérosène.

Nous pouvons ensuite améliorer la flotte d'appareils déjà en service pour la rendre plus efficace, en allégeant les avions grâce à des sièges et équipements de cabine plus égers (quand on économise 100 kg sur un avion, on réduit sa consommation de 3,5 kg de carburant pour chaque heure de vol) ou même en installant des winglets (ailette verticale) en bout d'aile. Les gains écologiques sont immédiats, mais les coûts d'installation de ces équipements sont souvent plus élevés que les économies réalisées, ce qui freine malheureusement leur mise en œuvre. La solution la plus radicale est évidemment de s'équiper de la nouvelle génération d'avions permettant des vols non émetteurs de carbone, comme les appareils électriques ou à hydrogène. Ces solutions sont en phase de certification pour les petits appareils, et des sommes colossales sont investies chaque année pour développer des avions de plus grande taille reposant sur ces technologies.

F.N.H. : Par quoi ces avions-là diffèrent-ils des avions «classiques» ?

X. T. : Déjà, il y a un changement total dans la propulsion pour ces avions ! Des dizaines de petits constructeurs développent en ce moment des appareils électriques de moins de 20 sièges, certains commencent déjà leurs vols tests et seront commercialisés avant 2025. La baisse des coûts opérationnels est de l'ordre de 60% grâce à une maintenance beaucoup plus simple qu'avec un moteur thermique et une électricité moins chère que le kérosène, ce qui incite de nombreuses compagnies à passer des commandes.

Au cours des deux derniers moins, l'ES19 de Heart Aerospace, l'Alice d'Eviation, le Cassio de VoltAero, le Model200 d'Airflow et tant d'autres ont été achetés à des centaines d'exemplaires par des opérateurs de renom comme United Airlines, DHL ou Alaskan Airlines... D'ici la fin de la décennie, certains espèrent produire des avions de 70 sièges, avant d'atteindre les 100 sièges en 2035, date à laquelle Airbus proposera son avion moyen-courrier à hydrogène, une autre voie porteuse de gros espoirs mais qui nécessite encore de nombreuses innovations.

F.N.H. : Comment la plateforme de construction marocaine pourraitelle s’adapter face aux nouveaux défis de la construction d’avions dit écologiques ?

X. T. : Le Maroc a une formidable place à prendre car il s'intègre parfaitement à l'écosystème aéronautique européen, avec une main-d'œuvre qualifiée pour un tarif compétitif tout en gardant une proximité géographique et géopolitique, notamment par rapport à la Chine, sans parler de l'atout que représente la langue française. Le Royaume pourrait participer au développement de ces nouveaux appareils, via la conception et la fourniture de pièces détachées de nouvelle génération, le développement de filières dans les matériaux innovants (composites, carbone, polymères...) ou les procédés industriels (fabrication additive, industrie 4.0, impression 3D...). Pour les programmes de petite taille, il faut se positionner tout de suite, car les lignes d'assemblage et les questions logistiques sont en cours de définition. Pour les projets à plus long terme, le Maroc est déjà bien positionné. Mais à plus court terme, on pourrait aussi imaginer la mise en place d'ateliers de modification d'avions pour leur apporter les évolutions évoquées, ou même le développement d'une filière de déconstruction.

F.N.H. : La fabrication d’intrants et d’outils nécessaires pour la construction d’avions au Maroc, pourrait-elle être soumise à de nouvelles exigences et normes ?

X. T. : Les normes évoluent sans cesse, notamment dans les questions de bilan carbone où la construction d'un avion doit comptabiliser toutes les émissions de CO2 émises sur toute la chaîne de production. Si l'industrie marocaine ne se décarbone pas, elle pourrait perdre des contrats et se retrouver isolée.

F.N.H. : Les produits d’avions fabriqués au Maroc seront-ils concernés par la nouvelle taxe carbone à l’import de l’UE ?

X. T. : La taxe carbone actuellement discutée cherche à aligner les fournisseurs extra-européens sur les standards internes de l'UE. Autrement dit, le but est d'assurer aux industries européennes, qui doivent modifier leurs process industriels pour être plus écologiques, qu'ils ne se trouveront pas en concurrence déloyale face à des régions du monde où aucune norme ne s'applique. Cela doit conduire tous les fournisseurs de l'Europe à s'améliorer tout en garantissant le maintien d'emplois européens. Le Maroc, et comme tous les autres pays du monde, devront donc suivre ce mouvement s'ils veulent maintenir leurs partenariats avec les entreprises européennes, dans le domaine de l'aéronautique comme tous les autres.

F.N.H. : Concrètement, en termes d’efficacité énergétique, quelle est la plus-value d’un avion écologique par rapport à un avion classique ?

X. T. : Les avantages des avions écologiques sont très nombreux : un moteur électrique ou reposant sur l'hydrogène n'émet pas de CO2... Du point de vue du transport, il s'agit d'une avancée majeure ! Il faudra par contre s'assurer que l'électricité ou l'hydrogène utilisées soient issues de filières décarbonnées, sans quoi le bilan pourrait rester positif sans être aussi favorable qu'initialement envisagé. De la même manière qu'une voiture électrique pollue parfois plus qu'une voiture classique dans certains pays où l'électricité locale est très carbonée, il faudra réaliser des analyses régionales. Dans tous les cas, le rendement d'un moteur électrique étant presque 3 fois plus élevé que celui d'un moteur thermique, le bilan écologique devrait rester très favorable pour l'immense majorité de la planète. Et si l'on prend en compte la question économique, alors il n'y aura plus de question : l'électrique doit permettre de réduire de 60% les coûts opérationnels d'un appareil, grâce à une maintenance beaucoup plus simple et une énergie bien moins chère.

F.N.H. :En comparaison avec d’autres moyens de transport, les avions actuels sont-ils plus polluants ? 

X. T. : Pour les trajets de plusieurs centaines de kilomètres, l'avion est moins polluant que la voiture ou la moto, avec seulement l'équivalent de 3,3 litres de carburant / 100km / passager pour la flotte en activité en France en 2019, et 2 l/100km pour les avions en cours de livraison. Mais si l'on compare l'avion et le TGV ou un train alimenté à l'électricité propre (nucléaire ou renouvelable), le bilan est moins évident si la ligne ferrée existe déjà, alors l'avantage va au train. D'après les dernières estimations, les millions de tonnes de CO2 émis pour la construction de nouvelles infrastructures terrestres ne sont plus compensées par une future baisse de l'utilisation des moyens de transport carbonés comme la voiture et l'avion. Si les avions électriques deviennent une réalité et qu'ils sont en concurrence avec des trains, l'absence d'infrastructures lourdes s'étirant sur des centaines de kilomètres est un énorme avantage écologique pour l'avion.

 

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