Après «Le pays où les pierres parlent», «Finis Gloriae Mundi», «Memento Mori», «Spiritus Mundi» et «Le soleil au cœur des hommes», après «La ilaha Fi Al Madar» et «Ma9amates Ilahiya», parus en arabe, le philosophe et poète, Abdelhak Najib, sort un nouveau recueil de poésie ancré dans l’alchimie et ses mystères, un recueil au titre révélateur : «Vitriol».
Par Mounir Serhani, poète et critique
Tout commence par cette formule si énigmatique, si secrète, si cabalistique. «Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée», qui nous donne en latin la formule consacrée suivante, qui est le credo de tous les alchimistes : Visita Interiora Terrae rectificando invenies occultum lapidem dont les lettres de chaque mot forment ce mot terrifiant : Vitriol, qui n’a, bien entendu, rien à voir avec notre vulgaire acide sulfurique. La formule accrochée au fronton de tout laboratoire, moitié labeur, moitié oratoire, renvoie à cette volonté indomptable des laboureurs du ciel, des alchimistes, des adeptes de l’Ars Magnum, de ceux qui voyagent, dans de longs périples, à la quête de leur lumière, avec leur sel de rosée et leur antimoine pour seul viatique. Cette formule alchimique est au cœur de ce septième recueil du poète et philosophe, Abdelhak Najib. Un recueil qui se lit comme un pèlerinage. Un ensemble de fulgurances poétiques qui s'appréhende comme un voyage où celui qui marche se pèle, au fur et à mesure qu’il avance en enlevant peau après peau, sans destination aucune, sinon de s’alléger de ce qu’il porte et de ce qu’il est pour laisser la lumière entrer. Ces textes entre prose, aphorismes, apophtegmes et instants poétiques sont aussi une espèce de quête de soi, à travers les méandres du songe, au-delà de ce qui est dit, dans des territoires où le silence tient lieu de parole sacrée. C’est également un alignement intérieur, cette volonté certaine de l’individu, qui entre en conscience aiguë avec la nature qui l’environne, qui communique en sensations et en sentiments avec les éléments, cet homme capable d’écouter le vent, d’entendre le murmure du minéral, qui embrasse le limon de la terre, qui s’allie au feu des âges, cet homme s’aligne alors pour mieux se voir, pour mieux éclairer, pour mieux vivre. C’est là une marche qui n’a d’autre raison pour le poète que d’inventer tous les chemins possibles. Ni bon, ni meilleur, mais juste. C’est pour cela que dans ce recueil, le chemin désiré est celui de la voie du milieu. Ce sentier désiré par le voyageur et son ombre, qui cheminent de concert vers tous les ailleurs, avec pour unique besace, ce coeur palpitant et ce désir de rendre ce qui est verrouillé ouvert, dans un passage d’une quête à une autre, dans un pas sage d’une conscience à l’autre. Le poète devient ce musicien, qui, comme dans l’alchimie, cet art de musique par excellence, où il faut découvrir les gammes de la note et les coupler aux gammes chromatiques du monde pour passer d’un métal à l’autre, du plus vulgaire au plus précieux. Le plus près des cieux, avec cette exigence de vérité avec soi qui est celle du cœur qui invente son propre langage, dans la cohue des palabres d’un monde étouffé par le bruit et la ferraille. Tous ces passages sont définis par trois couleurs: le noir, avec toutes les décompositions de l’être pour se libérer de ses propres scories, tout ce trop-plein de choses et de leur fatras qui encombre l’âme du pèlerin. Ensuite, il y a le blanc, où tout est rassemblé pour édifier la voie royale de celui qui n’hésite pas à sillonner tous les inconnus, celui qui se risque dans les méandres des mystères des mondes, toujours en solitaire, toujours en silence, avec cette musique des sphères qui rythme ses pas vers sa propre rencontre. Enfin, il y a le rouge, comme éclat, comme l’apothéose des noces chimiques entre un aigle et un lion. Le rouge qui réinvente la lumière en l’alignant sur les ondes et les vibrations de l’âme de celui qui marche, en continu, vers toutes les manifestations de son propre être secret. Nous sommes ici, finalement, au cœur du creuset, avec notre matière première qui a subi tant de transmutations, passant d’un état à l’autre, s’abolissant, dans ce changement constant d’origine et de matière. C’est à ce moment précis de notre voyage que nous assistons à tous les volcans, à tous les éclats, à toutes les éruptions, avant la transmutation de soi vers cette adéquation entre l’être et son néant, entre l’être et sa plénitude. Car, au bout du compte, à l’orée de la rencontre avec son Spiritus, le but du poète comme celui de l’alchimiste n’est pas du tout de faire de l’or, mais de transmuter, de changer, de s’aligner, pour laisser la lumière du monde entrer et rayonner de l’intérieur. Pour se sentir rempli des tonalités des mondes, ouvert au verbe éthéré qui rend toute parole un sanctuaire. Si tu cherches pour faire de l’or, tu n’en trouveras pas. Si tu sais en faire, tu n’en as plus besoin, dit le poète-alchimiste.
«Vitriol». Abdelhak Najib. Éditions Orion. 180 pages. 2ème édition, septembre 2021.