© Hamza Rochdi
A la rencontre de Taha Fahssi, rappeur à crocs et à cru. Il déroule son flow virtuose sur des textes outranciers et brillants.
Par R. K. Houdaïfa
Porté au sommet des charts américains par une nouvelle vague d’artistes, tels (les) Fivio Foreign, Polo G, ou encore Chika, le rap connaît également une renaissance au Maroc. La preuve avec cet artiste qui fait beaucoup parler de lui : ElGrande Toto. Né à Casablanca, révélé en 2017, il s’est imposé - en seulement un an -, comme l’un des représentants de cette scène en pleine effervescence.
Taha raconte avoir été nourri au lait du reggae, du blues... Il s’en grise les tympans à longueur de journées, s’en empiffre gloutonnement et ne s’en rassasie jamais. Il écoute avec dévotion 2pac, se défonce au Pink Floyd, plane avec les Metallica, s’insurge avec Cheb Bilal, voyage en compagnie d’Ultras Winners… Cancre invétéré, l’adolescent Taha préfère les bavardes flâneries, et surtout la danse (il s’essayait au krump, et s’en sortait avec brio) à la grisaille du Lycée Fatima Ezzahra
Ballotté dans un monde fragile de poésie, de rêverie et de violence, il se trouvait encombré d’une liberté dont il ne savait que faire. Mais papa veille au grain. Il prend la décision de l’éloigner de ses «mauvaises fréquentations», en l’assignant dans des cours d'animation radio. Là encore, Taha réalise son incompatibilité d’humeur avec les bancs inconfortables de la formation. Commence alors la valse des boulots incertains. Il ne cracha pas sur les centres d’appels pourvu qu’ils lui permettent un gagne-pain… Qu’à cela ne tienne ! Taha ne s’arrête de bourlinguer que pour se plonger aussitôt dans des couplets.
La rime est son autre passion dévoratrice. Il commence à rapper - sous le nom de 7 Boo - avec une foi rageuse. 7liwa, ayant senti chez son ami de réelles dispositions pour l’écriture, le persuade d’entrer réellement en game. Ce que fait Taha, et devient ElGrande Toto. Ses premiers pas remarqués s’effectuent avec «7elmat Ado» et «Smou7at». Les titres, intriguant, certes, encore sages. Mais, avec l’entêtant «Pablo», Taha se permet de lâcher les chevaux.
Mélodie originale et style détaché. Impression confirmée avec ses fiévreux «Apache» et «Piccola». Sur «Groupies», il semble évoluer dans un domaine musical qui n’appartient qu’à lui, où on trouve ce qui se fait de mieux en matière d’une plume très crue, pas timide du tout, le reflet parfait de ce que le pseudo pourrait laisser penser. Flow très travaillé, kickage maîtrisé, vibe déjantée, voilà son crédo.
Bien décidé à tourner la page après des années passées à jongler entre galères, déprimes et lueurs d’espoir, il signe chez RCA, l’un des labels de Sony Music France. Les parfaits témoignages de cette fulgurance, ce sont incontestablement le brûlot «VitamineDZ» ou l'irrésistible «Mikasa». Taha poursuit sa folle ascension avec «Halla halla», qui confirme la faculté du rappeur à soigner ses mélodies et à fédérer autour de sa personnalité. Celle d’un jeune homme, né en 1995, à l’aise derrière le micro, endroit où il semble être totalement en phase pour incarner chacune de ses rimes.
Depuis son entrée en jeu, il multiplie les collaborations, car très sollicité en feat (notamment avec 7liwa, AM La Scampia, Don Bigg, entre autres). Après avoir sorti la mixtape «BNJ City Block» et le miniprojet «Caméléon», il se détache du lot avec l’excellent EP «Illicit»… Le 10 juillet 2020, il perdit sa mère. Elle était la seule à lui apporter une bienfaisante chaleur dans un contexte d’aridité sentimentale. Il la pleura longtemps de toutes les larmes de son cœur… Le chagrin en fit un joyau d’une noirceur crépusculaire.
Quoiqu’il soit perdu et perplexe, il sort en janvier 2021 le très sombre et immersif Mghayer. Aussi bien que cette chanson vient en hommage à sa défunte mère, elle se veut une exploration curieuse de son fond et tréfonds. En moins de 72 heures, ce 3ème extrait de son très attendu album «Caméléon», dont la sortie est prévue le 5 mars 2021 (après l’avoir reportée trois fois de suite en 2020 : mars, juin, décembre), a déjà enregistré plus de 4.905.000 vues et réussi à figurer parmi le top 4 global (mondial) des vidéos les plus visionnées dans le monde, ainsi qu’être trending (top 10) dans plusieurs pays.
De jouet passif entre les mains de la fatalité, Taha est devenu acteur de sa vie; d’enfant condamné au mutisme, il s’est mué en machine à vers; de jeune bon à rien, il s’est transformé en rappeur majeur. C’est cela être Grande !