Le philosophe, écrivain, journaliste et chroniqueur, Abdelhak Najib, vient de publier son dixième essai de philosophie «Black-out» aux Éditions Orion.
Après «La dignité du présent», «Et que crève le vieux monde», «Inhumains», «Le forgeron des eaux», «La vérité est une zone grise», «La voix de la Terre», «Le vol d’Icare», «La rédemption par le péché», «La quadrature du cercle» et «Coronavirus, la fin d’un monde», l’auteur marocain se penche sur l’effondrement de cette civilisation thermo-industrielle en nous proposant une lecture sans compromis sur le chaos qui menace la planète dans les prochaines années. Prémonitoire.
Mounir Serhani
Écrivain et universitaire
Abdelhak Najib n’y va pas par quatre chemins. Loin de là. D’emblée, il assène cette vérité cruelle : le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui est en phase d’effondrement annoncé. Pour étayer ses thèses multiples et documentées, le philosophe énumère tous les chiffres qui attestent de la catastrophe qui nous pend au nez, à cause de la croissance à outrance, à cause de cette fuite en avant face à l’une des pires crises économiques et financières qui frappe le monde depuis 2008 et sur laquelle les médias et les gouvernements font l’impasse, fonçant tête basse vers le précipice, à cause également de la raréfaction des matières premières les plus importantes qui ont toutes atteint depuis plus d’une décennie leur tipping point, ce point de bascule sans le moindre espoir de rémission.
Point de bascule
Dans ce sens, pour avoir une idée claire sur la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, l’auteur nous propose d’énumérer tous les chiffres catastrophiques de la planète Terre.
«-Aujourd’hui, la masse des humains est dix fois supérieure à celle de tous les mammifères terrestres sauvages. La masse des animaux domestiques est 24 fois supérieure à celle des mammifères terrestres sauvages.
-Aujourd’hui, la biomasse des insectes a décliné de 80% en moins de 30 ans.
-Aujourd’hui, les populations des animaux marins ont diminué de 49% entre 1970 et 2012.
-En 2050, on assistera à la disparition probable des derniers récifs coralliens et des prairies marines, qui constituent l’habitat de 25% des espèces marines.
-Aujourd’hui, l’extinction des espèces est entre 100 et 1.000 fois plus rapide que le taux naturel.
-Aujourd’hui, 58% des vertébrés ont disparu depuis 1970.
-Aujourd’hui, 81% des vertébrés vivant dans l’eau douce ont disparu depuis 1970.
-Aujourd’hui, 38% des vertébrés vivant en milieu terrestre ont disparu, depuis 1970.
-Aujourd’hui, 36% des vertébrés vivant dans le milieu marin ont disparu depuis 1970.
-En 2020, 67% des vertébrés ont déjà disparu. Il s’agit des deux tiers des populations, depuis 1970.
-Durant les deux derniers millénaires, la masse des plantes terrestres a diminué de 45%, dont 15% durant le XXème siècle.
-Aujourd’hui, à titre d’exemple, en Europe, on compte 421 millions d’oiseaux en moins comparé à 1980. A cette époque, leur nombre dépassait les 2 milliards.
-Aujourd’hui, 85% des énergies utilisées sur terre par les humains sont d’origine fossile : 33,28% de pétrole, 28,11% de charbon, 24,13% de gaz naturel contre seulement 86% d’hydro-électricité, 4,46% d’électricité nucléaire, 3,16% d’énergies renouvelables».
Crise majeure
On le voit bien, les données présentées ici par Abdelhak Najib ne souffrent aucune ombre. La situation est au-delà des pires prévisions des scientifiques les plus pessimistes faisant planer sur nos têtes, le spectre certain d’une crise majeure capable de faire voler en éclats les piliers économiques de cette civilisation essoufflée. Mais ce n’est pas fini. La valse des chiffres va encore plus loin :
«-Aujourd’hui les ressources en eau douce ont diminué à un niveau très dangereux. Ce que les scientifiques appellent stress hydrique est en constante augmentation.
-Aujourd’hui, 2,1 milliards de personnes n’ont pas l’eau potable chez eux.
-Aujourd’hui, 4,5 milliards de personnes ne sont pas dotés de services d’assainissement.
-D’ici 2030, le déficit global d’eau douce sera de 40%.
-Aujourd’hui, les ressources agricoles ont dépassé toutes les limites pour nourrir presque 8 milliards d’humains : d’ici 2050, nous assisterons au doublement de la production de viande dans le monde, par rapport à 2000.
-En 2050, il faudra augmenter de 50% la production agricole dans le monde en comparaison avec 2012.
-Aujourd’hui, l’agriculture occupe un tiers des terres émergées. Elle est responsable de 80% de la déforestation et engloutit 70% de la consommation d’eau douce.
-Aujourd’hui, 44% de la production céréalière dans le monde est destinée aux animaux d’élevage.
-Aujourd’hui, la production de poisson d’élevage a dépassé la pêche de poisson sauvage.
-Aujourd’hui, les populations marines pêchées ont diminué de 89% par rapports à tous les niveaux historiques enregistrés.
-Aujourd’hui, la prise totale de poisson par habitant est deux fois supérieure à une prise durable permettant de reconstituer les stocks.
-En 2050, il y aura plus de plastique dans les océans que de poisson.
-Aujourd’hui, la consommation des métaux a atteint un point de non-retour : 26 éléments sont en voie d’épuisement dont l’or, le cuivre, le platine, l’uranium, le zinc et le phosphore.
-Aujourd’hui, pour satisfaire la demande en métaux, jusqu’à 2050, il faudra extraire autant de minerais que durant les 7000 dernières années.»
Le pire est à venir
La série noire, comme on peut le constater à partir de tous ces chiffres (que nous avons bien vérifiés) continue en touchant tous les aspects de la vie humaine, à tous les étages, tous azimuts. Pourtant, les médias main-stream passent tout ceci sous silence. Une manière de détourner le regard et de laisser les presque huit milliards d’humains vivant aujourd’hui sur terre dans l’ignorance absolue de ce qui les menace à court terme. Mais nous sommes encore loin du compte. Les choses sont pire que ce que nous pouvons imaginer :
«-Aujourd’hui, 40 milliards de tonnes de sable sont utilisées dans le monde, ce qui cause la diminution du sable marin. D’ici, 2100, il n’y aura plus aucune plage de sable sur la planète. Pour la seule année 2012, le béton produit dans le monde a nécessité presque 30 milliards de tonnes de sable.
-Aujourd’hui, l’exploitation de ce qu’on appelle les métaux rares (Cobalt, lithium, terres rares…) a explosé. Elle croît de 3 à 5 % chaque année.
-Aujourd’hui, le taux de CO2 dans l’atmosphère augmente continuellement avec une hausse de plus de 2% depuis 2017.
-Aujourd’hui, l’augmentation de la concentration dans l’atmosphère du méthane est de 254%. Cette émission est en partie due à l'activité humaine, notamment l'élevage, la riziculture et l'exploitation de combustibles fossiles. -Aujourd’hui, l'augmentation de la concentration du CO2, le dioxyde de carbone est considérable. Ses niveaux ont augmenté de 121% par rapport à l'ère industrielle.
-Selon la Banque mondiale, l'inaction face au réchauffement climatique pourrait faire basculer 100 millions de personnes dans l'extrême pauvreté, et ce d'ici 2030.
-Aujourd’hui l'augmentation en moyenne, relevée par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec), du niveau des océans depuis le 20ème siècle est de 20 centimètres. D'ici 2100, cette tendance ne ferait que se confirmer, puisque le niveau des mers devrait continuer d'augmenter. Les prévisions du Giec estiment que le niveau devrait encore atteindre entre 26 et 82 cm par rapport à la moyenne enregistrée de 1986- 2005.
-L'élévation des océans atteindra les 2,9 mètres, même si le réchauffement climatique est limité à 1,5°C. Dans ce cas, les petits États insulaires seraient menacés. Et cela affecterait 137 millions de personnes dans le monde. En revanche, avec une augmentation de 2° Celcius, les mers gagneront jusqu'à 4,7 mètres, couvrant des zones où résident actuellement 280 millions de personnes. A plus de 3°C, cela bouleverserait le quotidien de 400 millions d'individus, avec un niveau des mers qui monteraient de 6,4 mètres».
Graves inégalités sociales
Toutes ces données présentées par Abdelhak Najib s’ajoutent à d’autres, plus complexes, dans tous les domaines, et attestent d’un effondrement certain dans les 20 à 30 prochaines années.
«-En 1 siècle, la population de la planète est passée de 1,8 milliard à 7,7 milliards. Certaines prévisions annoncent plus de 12 milliards en 2050.
-Aujourd’hui l’exploitation des ressources de la planète est au rouge. En 1970, 22 milliards de tonnes de matières premières ont été extraites. En 2010, 70 milliards de tonnes ont été extraites. En 2050, le chiffre va atteindre les 180 milliards de tonnes de matières premières extraites.
Cet accroissement des productions mondiales a engendré de graves inégalités sociales. Les fossés entre riches et pauvres sont incommensurables : en 2013, les 85 personnes les plus fortunées possédaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,5 milliards de personnes. En 2016, les 8 personnes les plus fortunées dans le monde possèdaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Aujourd’hui, le 1% des plus riches possède autant que les 99% restants».
À la lumière de ces chiffres, on peut affirmer avec Abdelhak Najib que nous sommes dans une sur-accélération de la destruction du vivant. Du jamais vu depuis que les humains existent sur Terre. Y-t-il une solution pour échapper à la catastrophe qui nous attend et à notre effondrement ? La réponse la plus simple est que c’est déjà trop tard à tous les niveaux. Pour retrouver une planète Terre comme celle d’il y a 10 000 ans, il nous faut des milliers d’années de régénération sans les humains pour voir des espèces revivre et d’autres naître en s’adaptant aux nouveaux paramètres de la planète. Parce que pour tout ce qui a été décimé, il n’y a plus aucun espoir.
Décroissance
Pourtant, selon Abdelhak Najib, il demeure une unique option pour cette humanité : la décroissance économique à tous les niveaux. Ce qui est une option exclue et impossible pour les dirigeants de ce monde. Ils préfèrent cette fuite en avant avec plus de croissance, jusqu’à l’instant de l’effondrement final. Mais aucun retour en arrière n’est envisageable puisque nous n’avons aucun modèle fiable à suivre de société décroissante. Alors il faut extraire plus de matières premières ? Il faut produire plus. Il faut acheter plus. Il faut consommer plus. Sachant que le risque d’une implosion est le même que celui de l’effondrement inéluctable. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir est-ce qu’il y aura un effondrement, mais quand cela aura-t-il lieu ? Pour les plus optimistes, notre civilisation thermo-industrielle, bâtie sur le pétrole et l’énergie, l’effondrement est inévitable, d’ici 2050. Pourquoi ?
Pour expliquer une telle prévision, Abdelhak Najib affirme que nous devons faire l’analyse de la situation mondiale en 2022 pour comprendre pourquoi tous les indicateurs convergent vers la fin d’un monde et le retour à des poches de résistance résilientes, à la fois locales et essaimées un peu partout sur la planète. Cela commence par une vérité sans appel. Selon de nombreux scientifiques, selon presque tous les rapports de recherches qui se sont penchés sur la question, une crise financière de très grande ampleur est prévue avant 2030. Avec des taux d’intérêts négatifs ou nuls en Europe et en Asie, avec ces avalanches de records des indices boursiers, avec cette absence inexpliquée du retour d’une inflation conséquente en pleine reprise économique, selon le Fonds Monétaire International (FMI), le prochain crash économique est déjà en place pour précipiter la planète dans le chaos. Dans son rapport de 2017, le FMI explique que si les risques financiers restent limités jusqu’en 2020, une crise se prépare, en cas d’une hausse des taux d’intérêts, à l’horizon 2025. C’est demain. Et c’est inévitable.
*«Black-out». Abdelhak Najib. Éditions Orion. Avril 2022. Disponible en librairies et chez Orion Médias