L’acteur, producteur et réalisateur, Driss Roukhe, a sorti un nouveau film qui tranche avec une certaine manière de faire du cinéma au Maroc. Un regard juste sur le langage cinématographique et un traitement digne du cinéma qui se fait ailleurs dans le monde.
Par Abdelhak Najib, Écrivain et critique de cinéma
Nous le savons depuis plusieurs années. Driss Roukhe a d’autres ambitions cinématographiques, qui s’inscrivent dans une forme d’universalité, loin des clichés de la couleur locale et du «faisage» et autre bricolage de l’imagerie, tel que pratiqué au Maroc. Déjà dans ses courts-métrages, nous avons décelé une volonté de rupture avec le concept du cinéma au Maroc : c’est-à-dire poser une caméra fixe et laisser entrer et sortir les personnages dans une narration biscornue où les réalisateurs se mêlent les pinceaux et fourguent n’importe quoi au public. Avec «Jrada Mal7a», Driss Roukhe, qui a participé à l’écriture du scénario, livre une histoire bien menée. Il est question de Ranya. Une jeune femme qui fait les frais d’un conciliabule de spectres qui ont ourdi un véritable complot contre elle. Cette femme a été «programmée» par une organisation qui veille religieusement à garder ses manipulations ultra secrètes. L’objectif est de mener des expérimentations sur des échantillons humains pour servir des visées dont seule l’organisation a les secrets.
Ranya va perdre ses souvenirs, sa mémoire est détraquée, sa vie prend un tournant tragique. La folie la guette et l’incertitude sur l’avenir est de plus en plus grande. Le film raconte la quête de cette jeune femme qui tente, par tous les moyens, de retrouver sa vie, volée par un organisme secret qui veut téléguider les humains et en faire des marionnettes. Voici, grosso modo, pour le pitch. Penchons-nous maintenant sur le traitement qui en est fait par Driss Roukhe pour rendre crédible toute cette histoire aux allures futuristes, avec une inclination à la science-fiction, digne des productions américaines et européennes. D’abord, comment le réalisateur traduit son scénario en images ?
On le sait, du mot à l’image, il y a tout un monde et une autre grammaire à mettre en place pour rendre visible l’invisible des mots. Sur ce chapitre, Driss Roukhe a montré qu’il maîtrise son sujet et sa façon de faire. Les séquences sont bien ficelées, sans accrocs, encore moins des inexactitudes et des approximations. On suit le déroulement des événements et des situations, avec une narration fluide, bien maîtrisée. Cela relève de la capacité de mettre en scène son scénario. Ce qui est ici le cas de Driss Roukhe, qui tire les ficelles de ce thriller psychologique avec beaucoup de doigté, sans jamais tomber dans le déjàvu ni dans cette volonté de forcer les traits pour rendre crédible. Le réalisateur passe d’un nœud à l’autre, à travers une série de rebondissements qui servent ici de point d’ancrage et de transition d’une scène à l’autre. Ce qui rend le propos limpide, tendu, intense et capte l’intérêt qui grandit au fur et à mesure que les bobineries avancent. Cela se traduit aussi par une manière de filmer qui offre une atmosphère particulière à ce film et en devient la signature.
Driss Roukhe sait poser sa caméra. Il sait multiplier les plans et les prises pour donner plusieurs points de vue et autant de niveaux de lecture du film. C’est ce traitement bien rôdé qui donne sa force à ce film. Le réalisateur est au plus près de son scénario. Il connaît ses personnages et les fait évoluer dans un crescendo qui tient en haleine. Avec une direction d’acteur juste et sans ajouts inutiles, le réalisateur tient les détails de ce qui est donné à voir, d’une scène à l’autre. On sent la maîtrise et le métier derrière cette manière de travailler chez Driss Roukhe, qui a bien appris ses leçons de cinéma et qui les traduit sur grand écran avec application. Ceci est d’autant plus important que l’image offerte dans ce film est forte et intense, avec un décliné chromatique qui traverse le film de bout en bout. Ce qui donne une grande cohésion à l’ensemble, qui se déroule, dans une logique claire. Sans oublier qu’il s’agit là d’un film de sciencefiction, doublé d’un thriller psychologique et d’un polar noir, ce qui n’est pas une mince affaire. Pourtant, Driss Roukhe mène son chantier avec brio.