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Intégration des réfugiés : «Des défis majeurs demeurent pour atteindre une inclusion véritable et durable»

Intégration des réfugiés : «Des défis majeurs demeurent pour atteindre une inclusion véritable et durable»
Depuis l'adoption en 2013 de sa politique nationale d'immigration et d'asile, le Maroc a démontré un engagement fort en faveur de la protection des réfugiés.
 
Entretien avec Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur en France, conférencier, spécialiste 
en migration et développement, et président du collectif "CADOriental Europe".
 
 
Propos recueillis par M. Ait Ouaanna & M. Boukhari 
 

Finances News Hebdo : Le HCP, en partenariat avec le HCR, a effectué une enquête sur la situation socioéconomique des réfugiés au Maroc, en se basant sur un échantillon de 600 ménages réfugiés. Selon vous, quels sont les défis qui persistent encore quant à l’intégration des réfugiés au Maroc ?

Abdelkhalek Hassini : Bien que le Maroc ait fait des progrès significatifs dans l'accueil des réfugiés, des défis subsistent quant à leur intégration socioéconomique. En tant que pays de transit et d’accueil pour des milliers de réfugiés, le Maroc doit faire face à des enjeux majeurs dans l’intégration de ces populations vulnérables. L’étude menée par le Haut-commissariat au Plan (HCP) en partenariat avec le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), basée sur un échantillon de 600 ménages réfugiés, a mis en lumière les difficultés persistantes malgré les efforts déployés.

L'emploi est l'un des principaux obstacles. De nombreux réfugiés peinent à trouver un travail stable et sont souvent contraints d'accepter des emplois précaires et informels, en raison des barrières administratives et linguistiques. La reconnaissance des diplômes étrangers est rarement assurée, ce qui restreint l’accès à des emplois correspondant à leurs compétences. Environ 20% des réfugiés sont au chômage, freinant ainsi leur autonomie financière et leur intégration socioéconomique. Pour remédier à ce problème, il est primordial d'établir des mécanismes de reconnaissance des qualifications étrangères, de mettre en place des programmes de formation professionnelle et linguistique et de fournir un soutien à l'entrepreneuriat. Des incitations pour les employeurs, telles que des avantages fiscaux, doivent également être mises en place pour encourager l'embauche de réfugiés.

L'accès aux services sociaux, notamment l'éducation et la santé, demeure également inégal. Malgré l'inclusion des enfants réfugiés dans le système éducatif marocain, des lacunes persistent dans la qualité et la continuité de l’éducation offerte. Concernant la santé, les réfugiés rencontrent des barrières financières et administratives pour accéder aux soins de qualité. Simplifier les procédures d'inscription scolaire et offrir des programmes de soutien linguistique et culturel, ainsi que réduire les obstacles administratifs et financiers dans le secteur de la santé, est crucial.

En termes de logement, environ 53,4% des réfugiés n'ont aucun document prouvant leur droit d'occupation d'un logement, les femmes étant particulièrement touchées avec un taux de 64,4%. Seuls 41,6% des réfugiés disposent d'un contrat de location et seulement 2,5% possèdent un certificat de propriété. Le manque de soutien financier et d’options de logement abordable accentue leur vulnérabilité. Développer des programmes de logement social spécifiquement destinés aux réfugiés et encourager les partenariats avec les ONG pour proposer des solutions d’hébergement temporaire et permanent améliorerait considérablement leurs conditions de vie.

Pour améliorer l’intégration des réfugiés, il est essentiel de faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers et de créer des programmes de formation professionnelle adaptés à leurs besoins. Des campagnes de sensibilisation doivent encourager les employeurs à recruter des réfugiés, en soulignant les avantages de la diversité et de l’inclusion. Par ailleurs, garantir l’accès universel à l’éducation et aux soins de santé en supprimant les obstacles financiers et administratifs est crucial. Simplifier les procédures d'inscription scolaire et offrir des programmes de soutien linguistique et culturel pourrait également avoir un impact significatif. De plus, développer des programmes de logement social spécifiquement destinés aux réfugiés et encourager les partenariats avec les ONG pour proposer des solutions d’hébergement temporaire et permanent améliorerait considérablement leurs conditions de vie.

Les défis d'intégration des réfugiés au Maroc sont multiples et complexes, nécessitant une approche stratégique et multidimensionnelle. En renforçant les politiques d’emploi, en améliorant l’accès aux services sociaux, et en abordant les problèmes de logement et de sécurité, le Maroc peut créer un environnement plus inclusif et propice à l’intégration des réfugiés. Une action globale et concertée, impliquant l'ensemble des parties prenantes, sera essentielle pour relever ces défis et permettre une intégration durable et épanouissante de cette population vulnérable. En mettant en œuvre des politiques inclusives et adaptées, le Maroc peut transformer ces enjeux en opportunités, favorisant ainsi une société plus juste et solidaire.

F.N.H : Selon les données de l’étude, environ 1 réfugié sur 5 est au chômage. Comment le gouvernement pourrait-il encourager l’accès à l’emploi pour cette tranche de la population ?

A. H : Le taux de chômage parmi les réfugiés au Maroc, atteignant environ 20%, requiert des mesures urgentes et efficaces pour faciliter leur accès à l'emploi et promouvoir leur intégration durable dans la société. Cette situation préoccupante trouve ses origines dans plusieurs facteurs, tels que la non-reconnaissance des diplômes étrangers, les barrières linguistiques et les préjugés des employeurs.

Pour remédier à ce problème, le gouvernement marocain pourrait envisager l'adoption d'une série de mesures stratégiques et multidimensionnelles. Tout d'abord, il est primordial d'établir des mécanismes de reconnaissance des qualifications étrangères. Cela inclut la validation et l'équivalence des diplômes et compétences acquis à l'étranger, permettant ainsi aux réfugiés de valoriser leur expertise sur le marché du travail marocain.

Ensuite, des programmes de formation professionnelle et linguistique doivent être mis en place, adaptés aux besoins du marché local et incluant des cours de langue pour améliorer les compétences linguistiques des réfugiés, facilitant ainsi leur intégration professionnelle. Des ateliers sur l'entrepreneuriat, la gestion d'entreprise et la création de microprojets peuvent également encourager l'auto-emploi.

Par ailleurs, fournir un soutien à l'entrepreneuriat, notamment en offrant des microcrédits et un soutien technique aux réfugiés souhaitant créer leur propre entreprise, est essentiel. L'accès au statut d'auto-entrepreneur doit être permis, et les lois sur les coopératives doivent être appliquées aux réfugiés, au même titre qu'aux citoyens marocains.

De plus, des incitations pour les employeurs, telles que des avantages fiscaux pour les entreprises qui embauchent des réfugiés, doivent être mises en place, ainsi qu’une sensibilisation aux avantages de la diversité et de l'inclusion sur le lieu de travail.

En outre, il convient de renforcer les programmes d'insertion socioéconomique existants, tels que le programme d'insertion socioéconomique des réfugiés urbains et le programme Tahfiz d'incitation à l'emploi, en les élargissant en termes de financement et de promotion. L'accès à l'emploi est une pierre angulaire de l'intégration des réfugiés. En mettant en œuvre ces stratégies ciblées et inclusives, le Maroc peut non seulement réduire le taux de chômage parmi les réfugiés, mais également bénéficier de leurs contributions positives à l'économie nationale. Une action concertée et globale, impliquant le gouvernement, le secteur privé et la société civile, est nécessaire pour lever les obstacles à l'insertion professionnelle de cette population vulnérable et créer une société plus juste et solidaire.

 

F.N.H. : Comment jugez-vous les politiques et programmes mis en place par le Royaume pour faciliter l’intégration à tous les niveaux des réfugiés ?

A. H.: Le Maroc a entrepris des efforts significatifs pour faciliter l'intégration des réfugiés à travers des politiques et programmes ambitieux. Toutefois, malgré des avancées notables, des défis majeurs demeurent pour atteindre une inclusion véritable et durable, et des améliorations restent nécessaires pour répondre pleinement aux besoins de cette population vulnérable.

Depuis l'adoption en 2013 de sa politique nationale d'immigration et d'asile, le Maroc a démontré un engagement fort en faveur de la protection des réfugiés. La ratification de la Convention de Genève de 1951 et de son Protocole de 1967, ainsi que la mise en place d'une procédure d'asile gérée par le Comité national pour les réfugiés (CNR), témoignent de cet engagement. Ces initiatives ont contribué à améliorer les conditions de vie et les perspectives d'avenir de nombreux réfugiés. Néanmoins, le CNR doit renforcer sa capacité à traiter les demandes rapidement et efficacement pour répondre aux besoins croissants des réfugiés.

En ce qui concerne l'éducation, le Maroc a ouvert ses écoles publiques aux enfants réfugiés, leur permettant d'accéder à l'éducation primaire et secondaire. Cependant, des défis subsistent, notamment les barrières linguistiques et culturelles. Pour une intégration plus efficace, il est crucial d'améliorer la qualité de l'éducation et de faciliter l'accès aux études supérieures par des programmes de soutien linguistique et des investissements dans les infrastructures éducatives.

Dans le domaine de la santé, les réfugiés ont théoriquement accès aux services de santé publics, mais en pratique, ils font face à des obstacles comme la barrière linguistique et la complexité des procédures administratives. Des campagnes de sensibilisation et des services d'interprétation pourraient améliorer cet accès. Il est également essentiel de réduire les obstacles administratifs et financiers pour garantir un accès équitable aux soins de santé.

En outre, bien que le Maroc ait lancé des programmes de formation professionnelle et d'insertion socioéconomique pour les réfugiés, l'accès à l'emploi reste un défi majeur. Des mesures supplémentaires, telles que des incitations fiscales pour les entreprises embauchant des réfugiés et des initiatives de microfinancement pour encourager l’entrepreneuriat, pourraient améliorer leur intégration économique.

Le gouvernement marocain a lancé des campagnes de sensibilisation pour promouvoir la tolérance et la compréhension envers les réfugiés. Toutefois, la discrimination persiste dans certains secteurs, notamment le logement et l'emploi. Une approche globale visant à combattre les préjugés et à valoriser la diversité est nécessaire pour favoriser une inclusion durable.

Pour renforcer l'efficacité et la cohérence des politiques d'intégration des réfugiés, il est essentiel d'améliorer la coordination entre les différents acteurs impliqués, tels que les ministères, les collectivités locales et la société civile, pour une mise en œuvre harmonisée sur l'ensemble du territoire. De plus, allouer des ressources supplémentaires pour soutenir l’inclusion des réfugiés dans les systèmes éducatif et sanitaire, en mettant l'accent sur la formation interculturelle et la réduction des barrières financières, est crucial. Enfin, développer des programmes spécifiques de soutien à l’emploi pour les réfugiés, incluant des incitations pour les employeurs et des initiatives de microfinancement pour encourager l’entrepreneuriat, contribuera à renforcer cette inclusion durable.

En conclusion, le Maroc a fait des progrès notables dans la mise en place de politiques d'intégration des réfugiés. Cependant, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour garantir une inclusion complète et équitable. En renforçant la coordination, en investissant dans les services sociaux et en promouvant l’inclusion économique, le Maroc peut créer un environnement où les réfugiés peuvent véritablement s'intégrer et contribuer à la société. Avec une volonté politique affirmée et l'engagement de tous les acteurs, le Royaume pourra relever les défis liés à l'intégration des réfugiés et faire de cette population une force vive contribuant au développement et à la prospérité du pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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