Par R. K. Houdaïfa
Qui aujourd’hui prend le temps de regarder les végétations ? Qui, avec patience et respect, organise ce face-à-face silencieux avec des plantes, comme si c’était des êtres en chair et en os ? Il s’agit d’Abderrahim Yamou, artiste issu d’une famille originaire du sud du Maroc, né à Casablanca en 1959. Jeunesse passée au Maroc, il mit le cap sur la France à l’âge de 19 ans pour entreprendre des études de biologie. Parallèlement à un doctorat en sociologie sur la problématique de «l’identité dans la peinture marocaine» à la Sorbonne, il assiste à des cours sur l’histoire de l’art et - il fallait bien faire bouillir la marmite - s’inscrit aux ateliers de dessin de l’université de Toulouse.
Nomade culturel, il avait choisi l’exil, cette manière d’extraterritorialité mentale, afin que le champ libre soit laissé à son art. C’est ainsi que ses premières toiles se mouvaient dans un lancinant entre deux (Maroc-Occident). Mais à mesure qu’elle mûrissait, sa peinture désenclavait les territoires, s’affranchissait des bunkers géographiques.
Sérénité
Yamou fit ses classes dans la calligraphie, qu’il s’appliqua à renouveler, quitte à se voir taxer d’hérésie. En effet, au grand dam des orthodoxes, il la revisite en la dessinant en bouquets et en mouvementes, de sorte qu’elle se retrouve dessertie du sens dont elle est porteuse. Trahison, claironneront les tenants de la calligraphie décorative. Venu à la peinture par le truchement du dessin, Yamou n’en a cure, il se préoccupe, par dessus tout, d’affiner son art dans le sens de la rigueur, de l’austérité et de la puissance évocatrice. Au départ, ses tableaux abstraits éprouvent la matière : il couvre d’une épaisse couche de terre ou de sable brun la surface du tableau, qui est ensuite martelée, comme une surface sculptée. Puis, peu à peu, l’envie de retrouver une matière plus picturale, libre et fine, se fait sentir et les figures apparaissent. Après le travail des années 90 sur le bestiaire rupestre et le signe originel empreint de matérialité, Yamou retravaille l’esprit du Haïku et du jardin. Dès lors, son travail glisse vers le paysagisme floral, variation colorée, fluide et désincarnée d’une nature en devenir. Il se rapproche même de ses arborescences, creusant la lumière distillée à travers les feuillages, racines et feuilles.
Portée par une passion pour les couleurs naturelles, sa peinture est une recherche sur la matière et ses possibilités esthétiques. Il crée une œuvre qui, sensible à ses composants, se transforme en une scène où le geste, le recouvrement, le grattage prennent toute leur ampleur, dans l’agencement d’une matière expressive, disparate, offerte au regard interrogateur de l’autre. La surface, travaillée, créée, se révèle fertile, prometteuse, férocement hospitalière. Etant de la même essence que les plantes, Yamou s’évertue à retranscrire la mémoire de l’élément vivant, le végétal, au cœur de son jardin plastique. Moyennant sa passion pour la luxuriance végétale et son plaisir du verdoyant, il nous convie à la redécouverte, de la substance vivante dans sa genèse, son devenir, son foisonnement exubérant, son épanouissement sans limites.
Autant de qualités palpables lors de cette exposition, «Efflorescence», qui révélera le spectacle, rare, d’une peinture originelle, que la critique d'art Hanane Harrath évoque ainsi «On se tient devant un tableau de Yamou comme se tiendrait un enfant à l’orée d’une majestueuse forêt, à la fois attiré et intimidé par son puissant et silencieux mystère. On se sent invité, et même plus, littéralement convoqué, à retrouver un monde à la fois familier et inconnu. Familier parce que l’on reconnaît, ou l’on devine, les éléments d’une nature généreuse et vivante, et inconnu parce que l’âme et le pinceau de Yamou nous donnent à la voir comme jamais auparavant». Raison suffisante pour s’inviter à une évasion au cœur d’une peinture atypique, qui donne à voir des interpénétrations, entrelacements entre des éléments végétaux.
*«Efflorescence», 5 octobre au 8 novembre 2021 à L’Atelier 21, Casablanca.