Dans la série des communications suscitées par hORIEzoTALISME , nous avons relevé celle de la critique d’art Syham Weigant, pour l’intérêt qu’elle présente.
Légende photo : «Grande Odalisque», une peinture à l'huile réalisée en 1814 par Jean Auguste Dominique Ingres, sur l'injonction de la sœur de Napoléon, la Reine Caroline Murat de Naples.
Puisqu’il s’agit de postuler ici l’horizontalité orientale, j’ai choisi pour ma part d’établir une démonstration inversée qui considère la verticalité occidentale... Soit une démarche soustractive dont je m’expliquerais en conclusion.
Une question de temps...
Nous vivons, nous mourrons, et c’est notamment pour quantifier et opérer une gestion de nos vies plutôt que de notre mort, que la mesure du temps se trouve au cœur des préoccupations occidentales. L’Histoire, la vitesse, l’hédonisme jouissif du maintenant comme célébration de la vie plutôt que de la mort forment une première dichotomie quant aux cultures non occidentales, dont les rites funéraires, le respect dû aux morts et aux ancêtres ouvrent la voie à un monde aussi intéressant, voire davantage que celui de notre finitude ici-bas. Tout s’arrête quand tout commence. Enterrer les corps permet de nourrir la terre, quand l’incinération qui produit de la fumée et des matières éthérées disparaît dans l’air. Et ceci constitue un premier révélateur de l’opposition, verticale/horizontale qui oppose l’Occidental à l’Oriental ou plutôt au non-occidental, puisque j’ai choisi dans ma communication de considérer différentes altérités, dont l’africanité plutôt que l’arabité orientale stricto sensu. Une opposition qui, lorsque l’on considère les différents présupposés, nous éclaire davantage sur les conséquences de cette verticalité à l’étude : le chimique qui permet aux corps de disparaitre dans une désincarnation et une métaphysique transcendantale de l’immanence. À l’inverse, la réincarnation organique que permet l’enfouissement des corps suppose plutôt une forme de permanence réincarnée en une pluralité de matières, dont les cultures non-hégémoniques cultivent une pluralité de considérations métaphysiques. C’est dire que l’obsolescence programmée au cœur du capitalisme américain et européen s’applique également aux hommes, là où le recyclage, la transformation de la matière, dont les corps humains, permettent une durabilité.
Soit un temps de l’éphémère et de l’instant là-bas, et ici, le temps long où l’individu, même lorsqu’il disparaît, continue à nourrir et à renforcer la communauté. Ce qui permet de considérer là encore les individualismes, voire l’égoïsme des sociétés occidentales qui érigent l’individu seul, dont le désir et la volonté de s’élever par le matérialisme économique et le pouvoir hiérarchique forme une autre composante de cette verticalité occidentale. Il s’agit donc d’une ascension volontaire qui privilégie le personnel, quand d’autres sociétés, dont la nôtre, considèrent davantage les rapports sociaux de l’ensemble de la population qui forme une communauté en distribuant des fonctions sans considération à la personnalité, mais plutôt l’utilité interdépendante au service d’un destin collectif.
Nos considérations locales sont quantitatives, c’est-à-dire qu’elles visent à s’emparer du maximum de ses citoyens, tandis que l’Occident fonctionne davantage par électivité et pas sélection qualitative : il faut se distinguer pour parvenir au sommet, de préférence seul pour former élite ou caste minoritaire, mais aux pouvoirs exacerbés. Alors qu’en Afrique, c’est par la base horizontale que peut se construire une assise commune et solidaire qui forme société.
L’Occidental, et il l’a prouvé à plusieurs reprises, s’élance de manière verticale et ascendante pour pouvoir dominer en maître sur ceux-là qui font corps ensemble pour se défendre éventuellement, alors que l’Occident attaque pour asservir ces corps dont il fera un usage inhumain pour maximiser et augmenter ses profits. L’Occident est souvent agressif, conquérant, exploitant plutôt qu’exploiteur, alors que l’indigène est souvent pacifique au mieux défensif...
Et les principes mêmes de cette économie qui forme la substance du politique impérial est celui futile des plaisirs de la consommation à outrance, puisqu’elle outrepasse les besoins et ignore le passé et le futur, car elle épuise toutes les ressources sans s’inquiéter de ces destructions au gré desquelles du vivant (tribu, minorité), de la faune, de la flore disparaissent définitivement et irrémédiablement.
Une célébration de la vie donc comme nous l’avons évoqué, mais qui se nourrit de la mort et de l’annihilation de tout ce qu’il pourra par ambition de s’élever encore davantage et à la verticale audessus des autres et de la terre qu’il faut dominer, surplomber.
Espèces d’espaces...
Il y a le temps et il y a aussi l’espace... Les Nazis appelaient cela le Lebensraum ou Espace vital, sur le modèle impérialiste et colonial des pays qu’ils visaient à occuper par cette guerre dite mondiale... Et là encore, des considérations sur la verticalité et l’horizontalité peuvent former une grille explicative pertinente... On le voit aujourd’hui : le modèle belliqueux occidental est celui de l’aviation qui bombarde verticalement en investissant les airs pour se déplacer plus rapidement et disposer aussi d’une force maximisée par la vitesse croissante des chutes d’obus ou de bombes nucléaires. Un modèle réactualisé et exacerbé par l’invention du drone notamment. Quant au modèle extra-occidental, chez les Arabes par exemple ou les populations polynésiennes, il est plutôt de l’ordre du maritime, soit un déplacement horizontal par la navigation sur l’eau, quand l’occidental s’élève dans les cieux à la verticale...
L’Arabe par exemple est un corsaire, alors que l’Américain par exemple est plutôt un aviateur, et même désormais un cosmonaute qui explore toujours plus en hauteur l’espace comme nouveau territoire à explorer, sans doute pour l’exploiter à une échéance qu’il espère aussi rapide que lui permettront ses outils conçus pour maximiser la vitesse... Celle du transport et des déplacements, mais aussi celle de la production de plus en plus industrielle qui doit en permanence proposer des nouveautés. Le goût occidental est celui de la mode, de l’immédiateté et de l’éphémère, puisque la nouveauté prime sur la pérennité, l’antiquité, et les traditions qui pérennisent par transmission cet universel ancien de l’humain qui permet à la culture de s’inscrire dans la durée, en nous rappelant l’unicité originelle de notre genre qui, en se multipliant, lui a assuré la sécurité et la survie.
Mais à ces temps anciens, l’Occident préfère la division pour mieux régner du haut de sa solitude élitiste et élitaire sur des espaces confisqués et morcelés en propriétés.
Le modèle même dont il habite l’espace renforce cette impression d’une exacerbation de la verticalité... Avec le gratte-ciel, ou les immeubles verticaux et de plus en plus hauts qui servent d’habitations profanes aux individus ou aux nouveaux symboles du sacré : les usines avec leurs cheminées, ou encore avant cela les châteaux-forts du pouvoir politique hérissé de tours crénelées... Quant à ce qui reste de la spiritualité majoritairement chrétienne, ce sont les cathédrales qui érigent de manière ascendante un clergé très hiérarchisé... Soit une géométrie de la ligne qui aspire à l’infini... Et l’immobilité des villes qui sont ainsi constituées.
Ailleurs comme chez nous par exemple, c’est la terre qui compte, les habitations occupent des surfaces qui s’élargissent plutôt qu’elles ne s’élancent vers le vide atmosphérique des airs. Le monumental procède du sacré, comme dans ces pyramides aux bases bien ancrées et qui s’allègent au fur et à mesure qu’elles quittent le sol.
Le principe de circulation dans ces bâtiments célébrant la spiritualité est labyrinthique et multiplie les couloirs de distribution planes, tandis que l’escalier et même désormais l’ascenseur privilégient des déplacements ascensionnels et donc à la verticale, là encore...
A cette aune, le sol extra-occidental est bien plus important et fait l’objet d’efforts décoratifs ainsi que les mosaïques par exemple, alors que la toiture plus au nord est l’objet attentif des décorateurs qui l’embellissent de vitraux par exemple, ou encore de frises et de statues.
Et encore une fois d’autres considérations dérivées de la verticalité et de l’horizontalité peuvent être déduites quant aux modalités de construction qui permettent à l’homme d’habiter diversement les espaces à sa disposition. De manière conceptuelle : en considérant l’horizontalité de la poutre faitière qui supporte un ensemble où disparaissent les spécificités, alors que l’architecture gréco-romaine par exemple, qui fonde les cultures dites judéo-chrétiennes, privilégient le principe de colonnade, soit l’individualisme dont l’utilité est évacuée et qui ne sert que de décor pour une esthétique du Beau plutôt que du Bon pour les hommes en communauté. Les matériaux également manifestent de cette dichotomie horizontal/vertical : avec une mobilisation ici de la terre et de la pierre à disposition horizontalement à la surface de la terre et utilisées notamment dans nos architectures dites vernaculaires, tandis que la ville européenne privilégie l’acier, le verre, extraits des mines pour être remontés verticalement à la surface puis de plus en plus haut sur ces fameux buildings qui tutoient les cieux. Là encore les minerais sont transformés par combustion puis disparaissent par oxydation en utilisant les airs, tandis que la pierre et la terre reviennent nourrir le sol en cas de destruction des habitations.
On le voit ainsi encore que la gestion des espaces en Occident procède d’une certaine verticalité... Les habitations hors-sol privilégient la solitude et l’individualité. Les bâtiments sont réfléchis pour renforcer l’immobilité des villes et l’efficacité de l’urbanité. Même les paysages et les climats semblent procéder et renforcer (peutêtre même expliquer) cette appétence pour la verticalité : le paysage type est sylvestre et s’élève en forêt, tandis que le climat plus froid tient plus de l’atmosphérique que du terrestre. Ailleurs, le nomadisme, les agoras et les équipements communautaires investissent le sol avec une certaine circularité. La ruralité en labourant des sols à proximité permet la subsistance à partir du naturel très peu transformé. Les paysages parfois désertiques encouragent au nomadisme et son horizontalité.
HochKultur et culture populaire
Enfin, puisqu’il s’agit finalement de parler d’art et de culture dans ce contexte où nous nous trouvons ensemble, je vais maintenant vous livrer quelques considérations partielles et partiales et pleines de subjectivité, puisque je suis Orientale et Africaine, bien que très gravement acculturée par la culture occidentale pour des raisons aussi personnelles que générales à notre continent et nos pays, qui furent pendant très longtemps l’objet des prédations coloniales aussi racistes que dominatrices et instrumentales.
Car, oui, je suis la descendante de ces odalisques couchées à l’horizontale dont on ne considère que le corps encore animal et tout juste bon à satisfaire les fantasmes de ces esprits dits des Lumières venus conquérir ici la chair et la matière qui leur manquait à domicile et par différentes justifications dites philosophiques (civilisation, etc.), pour essayer de masquer un peu du cynisme de leurs manipulations économiques et politiques. Ce patriarcat capitaliste dont le dogme prolonge, puis remplace peu à peu le religieux et ses prosélytismes.
Les terres de mes ancêtres ne me reviendront plus par hérédité, puisqu’il en sera décidé qu’elles ne sont que des Terra Nullius dont la descendance des colons pourra hériter...
Je suis une primitive, tout juste bonne à inspirer et nourrir le moderne puis le contemporain. Mes arabesques et mes volutes transformées par des cubismes qui ont oublié ce qu’ils doivent aux mathématiques pour me renvoyer seulement à mon zéro à l’infini...
Le 1er art, celui de l’architecture et qui est central dans ma culture ne fait plus le poids, puisque la modernité lui préfère sa récente invention à la mode, qui fait de l’image fixe ou en mouvement l’ultime et septième art dont je ne suis plus qu’un objet soumis à la sujétion de ces nouveaux sujets d’un protectorat dont ils sont les seuls citoyens à commander et à régir la masse informe et anonyme des indigénats barbares et rustiques de leur apparence à leur spiritualité.
Je suis devenue un particularisme au service d’un universel venu éclairer les ténèbres obscures de mon Histoire et de ma géographie.
Tout mon patrimoine précieusement conservé devient l’objet d’accumulations souvent exportées pour meubler des expositions universelles et des musées. Je suis un divertissement pour Occidentaux désenchantés depuis que leur déracinement leur a fait oublier de quelle histoire commune à l’humanité ils ont préféré s’élever en perdant tout sens du sacré et de la réalité.
A ces visiteurs accueillis avec hospitalité, nos peuples ne peuvent être que des sous-hommes et une sous-caste discriminés, écartés dans les périphéries des ghettos et des quartiers réservés... Ou alors servir de chair à canon, puis d’usine pour reconstruire des pas dont nous serons toujours les étrangers et les immigrés... Exilés plutôt qu’expatriés !
Ma culture devient un spectacle populaire et exotique inapte à rejoindre le cénacle toujours hissé à une plus haute verticalité qui forme cette Hochkultur des arts qui sont beaux là-bas et folkloriques par ici.
Je ne suis qu’un animal au service de leurs machines...Et si le soleil a quitté mon Orient pour l’Occident, c’est seulement pour y disparaître au couchant d’un ciel qui s’en fiche bien, puisque les lumières artificielles ont supplanté la poétique nécessité du naturel qui continue à rythmer chez nous de ses prières nos nuits et nos jours de barbares incultes et ignares à civiliser.
Bien sûr, je n’entrerais jamais dans leur Histoire, mais ma géographie a pour ligne l’horizon dont je préfère contempler les mystères sans aspirer à le définir et à l’atteindre par l’explication verticale de cette ligne de fuite aussi triviale et banale, que tout ce que l’Homme de l’Occident aura construit après nous avoir tant détruit.