Le musée d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL), à Marrakech, expose les artistes d'Essaouira réunis par la Fondation Alliances et Fundacion Yannick y Ben Jakober/Museo Sa Bassa Blanca.
Par R. K.. Houdaïfa
Au MACAAL dans Outsiders/ Insiders ?, les magnétiques œuvres présentées rayonnent. La puissance de couleurs irradie. La volupté du trait métamorphose. L’impression contradictoire d’incertitude farouche et de déjà-vu transpire des tableaux… Mais aussi se fait sentir, derrière l’accrochage clairsemé, comme les espaces entre eux sont pleins, très pleins d’histoires où s'entremêlent des controverses artistiques, certes, mais aussi le goût, l’humeur, les passions, la vie de leurs créateurs...
De la création pure
Le sombre et atypique Youssef Aït Tazarin force l’admiration par son univers pointilliste dans lequel des constellations de points colorés donnent ainsi naissance à un univers peuplé de créatures hybrides, indéfinissables, anormalement déformées et qui recouvrent la surface de la toile sans laisser de vide. Dans sa contemplation patiente et quotidienne du ciel, Abdelkader Bentajar, ce M’khazni (gardien de la paix), y voyait apparaître dans les nuages un monde surnaturel fait de visages, d’oiseaux… C’est ce qu’on voit, d’ailleurs, dans son univers artistique, où le bleu d’Essaouira prédomine. D’autant qu’elle «est la plus belle des couleurs, selon le peintre, car le ciel bleu est le seul ami et le compagnon fidèle des êtres du commencement jusqu’à la fin».
Fasciné par les cérémonies de transe, Ali Maimoun retranscrit dans ses œuvres cet environnement énergique ainsi que psychédélique, et donne ainsi naissance à des représentations animales et humaines surprenantes dans des compositions colorées. L’œuvre de Mohamed Zouzaf nous questionne telle une énigme. S’affranchissant des contraintes canoniques de la lettre, il crée, sur des peaux de chèvre en utilisant du «smak», une encre traditionnelle (faite à base de laine brûlée jusqu’à l’obtention d’une poudre noire qu’il faut ensuite mélanger à de la gomme arabique et de l’eau pour obtenir une encre), un langage qui lui est propre et que lui seul peut déchiffrer; à la limite entre hiéroglyphes et lettres arabes.
Du filet au pinceau
Azzedine Sanana met ses rêves de pêcheur sur la toile avec les couleurs du ciel et de la mer. Aucun personnage, aucun animal précis sur ses toiles. Tout reste dans le flou, les formes sont libres, les teintes plutôt douces et les surfaces claires. Dans ses compositions entremêlées surgit une foule de petits yeux, comme ceux d’un ban de poissons. Les œuvres du peintre-marin Rachid Amarhouch regorgent de lettres, mots, motifs et symboles géométriques qui ne sont pas sans rappeler les constructions architecturales d’Essaouira.
Son travail est porté par la fantaisie et le débridé. On y retrouve un héritage berbère avec une iconographie propre aux régions de l’Atlas marocain. Mais également des éléments caractéristiques de l’art islamique avec des arabesques, des labyrinthes, des superpositions d’éléments décoratifs et architecturaux et de la calligraphie… L’exposition rassemble 23 artistes souiris. Des créateurs venus à la peinture sans armes et sans bagages. Ils ont été saisis par le vent de la création que la ville-Muse fait souffler. Ils ont reçu le don de la créativité à l’ombre de l’emblème de la ville : Barakat Mohamed. Leur art est instinctif et réfléchi, simple et riche, mystérieux et éloquent…
* Outsiders/Insiders ? Artistes d’Essaouira des collections Fondation Alliances et Fundación Yannick y Ben Jakober/Museo Sa Bassa Blanca, jusqu’au 25/07/2021 au MACAAL, à Marrakech.