Abdellatif Youssoufi, le coach d'acteurs.trices, partage, ici, une journée de tournage passionnante et envoûtante de la série «Mektoub» sur les rives de Bouregreg, où l'océan, l'oued, et la marée jouent un rôle essentiel dans la création d'un drame télévisé captivant. Une expérience artistique unique où la nature elle-même devient un acteur central de cette aventure cinématographique.
Mektoub ! Tournage au rythme de Bouregreg !
Au tempo de la dernière «tawala (série de vagues)», et la poussée de l’Atlantique dans l’estuaire de «Bouregreg», Achraf bras au ciel, à haute voix, un ton enthousiaste, dans la joie d’avoir accompli sa tâche : fin de journée. Alors que l’Océan et l’oued annoncent le climax de la marée.
C’est encore la matinée. Le Bouregreg se déverse dans l’Océan. C’est l’heure du «lunch». Pour le savourer, je m’approche de la lisière. Je contemple tout en mangeant. Je me laisse emporter par les orgies des yeux. La vie de l’embouchure abonde d’activités. Couleurs, odeurs, mélodies et chants. Toutes les populations des deux rives vaquent à leurs devoirs : Barcassier, naviguant vers l’une des deux rives, pêcheurs, ou tout simplement promeneurs. Une mouette, un goéland, aigrette-garzette, tringa-totanus (Chevalier gambette), tournepierre, pluvier, une belle population d’oiseaux agençant le vécu de l’oued et son alliance avec l’Atlantique. Crustacés, mollusques, moustiques, vers sont au menu.
À mes pieds, un autre spectacle se déroule. Il durera tant que je suis figé, fixé, respirant lentement. Même mon ombre ne doit aucunement être interceptée. Le crabe est très méfiant. Les mâles violonistes se livrent à des parades dansantes, agitant leurs pinces géantes pour séduire les femelles roses qui se nourrissent. Ce monde est très sensible au plus fin mouvement de ces prédateurs, y compris moi-même. Ils sont prêts à se terrer dès qu’un danger se déclare. Mal chaussés pour tenter le marécage et surprendre l’un d’eux ou une petite crevette. Question de déguster, cru, le Bouregreg.
En bas de la colline - rive nord - la tour «Borj Mohammed VI» poursuit son élan vers le ciel pour un ralliement avec l’histoire, avec son ancêtre la Tour Hassan, sous l’œil protecteur du Mausolée Mohammed V.
Rabat-Salé et voisinage. Les va-et-vient s’entrecroisent vers l’une ou l’autre des deux villes; jumelles pour l’éternité dans notre mémoire pop. Le Bouregreg continue de se verser dans l’océan qui se retire, déclenchant sa marée basse. Quelques dizaines de minutes, une vague amorcerait la remontée de l’Atlantique. Vers le crépuscule, le muezzin appellera à la prière du «maghrib» et l’Atlantique complétera sa pleine marée.
Pour la joie et le plaisir d’un vieux pêcheur à la pelote, l’Atlantique pousserait un mulet, un sar, un loup bar ou un moucheté égaré, étourdi ou tout simplement obstiné. C’est un prédateur, facilement tenté par tout ce qui bouge, même un raglou en silicone. Je prie pour que l’une de ces cannes se courbe. Ces pêcheurs et moi, nous avons tous besoin de la grâce de Bouregreg pour satisfaire nos attentes.
J’ai traité mon sandwich au ton et harissa, comme l’aurait fait un soldat. Une bouchée dans l’œsophage, une sous les mâchoires, une dans la main et la quatrième sous les yeux. Dans un plateau de tournage, le temps est déterminant et il faut marcher sur des œufs, même avec du feu au soulier…
Achraf appelle à la séquence suivante. Moi, en préface au jeu dramatique, le moment est pour : encourager une reformulation adéquate, pourchasser une redondance nuisible, motiver un pléonasme utile, contracter une réplique, décontracter une autre abusivement concise, migrer une expression d’un registre de langage à un autre, Proposer une articulation ou une intonation…. Sinon, un coup de pouce, un sourire et si nécessaire un silence convenable…
L’Atlantique remonte. Achraf, loin d’être coercitif, continue à annoncer les débuts et fins des séquences… Le temps pour le Bouregreg est à la marée montante. Après un silence de transition et l’Océan se lance pour reconquérir l’embouchure. Les clapots vont se succéder repoussant le Bouregreg vers la vallée. Achraf Dakhouch, le premier assistant gentilhomme, avec un ton qu’il se veut ferme, demande : moteur ! Attend le «cadré» et relance le directeur qui ordonne l’action.
Les «ça-tourne», se poursuivent, mains, pieds, dents et griffes, soupirs, sueurs, dégoût, sourire et amour, les émotions se propulsent, s’entre-poussent. La fabrique du drame télévisé est en pleine allure.
Bouregreg se retire. Le climat de la marée coïncide ce jour avec la naissance du croissant. Le lever de la lune correspondra avec la fin d’une partie de l’œuvre dramatique orchestrée par Alaa Akaaboune. Samir Kassiri persévère pour s’assurer de la continuité -de fil en aiguille- afin de garantir au conte une parfaite conduite vers le super- objectif dramatique. Faisant ainsi barrage à toutes disconcordances : ligne d’action, temps et ton, costumes et make-up. Comme un flot, au rythme des vagues qui repoussent le Bouregreg vers la vallée, les séquences s'empilent. Achraf coche la fin d’une séquence et relance une suivante.
L’Atlantique continue à repousser les eaux dans la vallée. La marée monte, les «tawala» se succèdent. Les rouleaux et clapotis chantent leur musique éternelle… une musique qui s’amplifie doucement pour embellir l’acoustique de la marina de salé.
Le moteur tourne, les : «silence ! on tourne» s’accumulent. Le chrono s’affole, recensant aux centièmes de seconde l’évolution du conte. Alaa Akaaboune, le tisserant, artiste bien aguerri, continue à faufiler les derniers fils sur sa trame, balançant sa navette en aller et retour pour achever l’étoffe du drame Mektoub.
«Nice» ! crie Alaa.
Achraf annonce, au rythme du Bouregreg, l’arrêt du moteur et des feux : Fin de journée. Les conteurs soupirent et se préparent à la marée suivante, ou aux craquettes des cigognes sur la route de Zaïre…
Post-scriptum : en attendant quelques corrections de lumière, Alaa, afin de renouveler l’air de ses poumons, me rejoint sur un balcon, où j’y étais pour s’altérer. Ce balcon nous offre une belle vue de la marina. En background, le nouveau théâtre et borj Mohammed VI sont juxtaposés d’une façon qui nous offre une image éblouissante.
J’ai une pensée à haute voix : Alaa ! tu ne vois pas, une mosquée; tout en désignant la composition du théâtre avec la tour en arrière-plan. Alaa répondit : hé oui ! on dirait une mosquée futuriste…
Bien vu ! dis-je.